Lettre à Claude

Par Yves Jalabert



Yves en 1962

En introduction, je voudrais remercier celui qui m’a donné l’idée et l’envie d’écrire ce texte, il se reconnaîtra. Le sujet, que je vous laisse découvrir, n’avait rien d’évident pour moi. Résultat, je ne me doutais pas que j’en aurais autant à écrire, que j’avais conservé autant de souvenirs et de détails. Je souhaiterais, que vous tous, qui avait des souvenirs, fassiez de même. Écrivez "vos mémoires", jetez vous à l’eau, le tout c’est de s’y mettre, et croyez moi, je ne suis pas un littéraire, alors, à vos stylos, ou plumes Sergent Major.

branchez vos sonos !

Ailleurs-Land, mai 2005

Mon cher Claude,

Je t’adresse cette missive, que tu ne liras point. Tu es parti depuis 1918, à l’âge de 56 ans, pour aller charmer les anges de tes mélodieuses compositions, je voulais quand même te dire toute la sympathie que j’éprouve à ton égard et la notoriété que tu avais acquise parmi nous.

En m’excusant tout d’abord de mes familiarités, j’ose te tutoyer.

Dans les années 50, à l’âge de 6 ou 7 ans, j’ai fait ta connaissance, j’ai vécu à tes cotés plus d’une dizaine d’années, et depuis, moi, je vis en ta compagnie, tu fais partie de ma vie. Je ne suis pas le seul, des milliers d’Algérois prononcèrent ton nom. Sur combien d’enveloppes ton nom fut porté, à combien d’adresses ton nom fut associé, une avenue, d’environ 30 numéros, porte ton nom, ainsi qu’un cinéma, c’est dire à quel point nous t’estimions.

Pour te faire une petite place, on a même débaptisé cette avenue. L’avenue de l’Oriental (du nom du somptueux hôtel auquel menait l'avenue) devenait, au début des années 50, l’avenue Claude Debussy. Eh oui.

Tu étais le voisin de Michelet, écrivain et historien et de Saint-Saëns, le compositeur, un de tes collègues en quelque sorte, qui lui est resté là-bas, il repose au cimetière de Saint Eugène.

J’aimerais te présenter ce microcosme, ceux avec qui tu partageas le quotidien, sans qu’ils ne te connussent vraiment, te faire vivre un moment de notre vie de quartier, te raconter un épisode de ma vie, d’ici ou de la bas, je ne sais plus.

Tous ces personnages hommes et femmes d’origines, de religions et de conditions différentes, prononçaient ton nom, qui était imprimé sur des cartes de visite, du papier à entête, du papier d’emballage, des ordonnances, des boîtes de gâteaux. Bien sûr, je n’ai pas connu tous les habitants de ton avenue, et mes souvenirs, avec le temps, ne seront pas fiables.

Tout à fait en haut, à l’entrée de l’avenue qui arrivait du boulevard Saint-Saëns, souhaitant la bienvenue, est planté un palmier, érigé en phare, comme pour annoncer l’entrée d’un port, où les trottoirs auraient été des quais et les bateaux, à roues.

Parmi les 4000 espèces répertoriées, le plus beau d’entre eux, le Phœnix, fut choisi. On était fier de notre palmier, il est toujours là, je l’ai rencontré récemment, il va bien.

Quelle joie pour nous, les jeunes, que cette avenue fût en pente (en montant comme en descendant). Comme nous habitions au n° 28, c’est à dire tout en haut, tu imagines, mon cher Claude, les descentes qu’on se tapait avec tout ce qui pouvait rouler, avec des figures libres ou imposées : les patins, les trottinettes, les carrioles, de fabrication maison, bien sûr, le problème c’est que les remontes-pentes n’existaient pas, si tu vois ce que je veux dire…

Au n° 28, donc, l’immeuble, faisait l’angle avec la rue René Tilloy, il comportait 6 étages, avec 4 appartements par palier. Y vivaient plusieurs familles. Il y avait...

M. & Mme Soler, lui officier de l’armée de l’air, leur fille enseignante, a tenté en vain de me donner des cours particuliers en Français et en math. A-t-elle réussi ? Quelle corvée, le jeudi matin, de me rendre au rendez-vous hebdomadaire, je n’avais même pas le plaisir des yeux, la vieille fille était moche, ceci explique cela ...

M. & Mme Roêss,

M. & Mme Dulieu,

Mme Gorski & son fils,

Mme Casanegra,

la tribu Picquot, Monsieur Madame, la mère de Monsieur (Madame Veuve Paul Picquot) et les 4 enfants,

M.& Mme Messerschmitt, médecin,

M. & Mme Bise, lui architecte... Ils avaient deux filles, Marie Blanche et Anne Marie, je ne sais plus de laquelle j’étais le plus amoureux ; peut être des deux… 

Au premier étage, les bureaux d’une entreprise de recherche pétrolière. Qu’est ce que j’ai pu fantasmer en voyant leurs véhicules tout terrain, avec des équipements spéciaux, pour vivre la grande aventure saharienne et les hommes bronzés, brûlés par le soleil du désert qui m’attirait déjà. Je me serais bien embarqué avec eux pour découvrir le sable chaud et la vie de chantier saharien, je n’avais pas l’âge.

Il y avait d’autres occupants mais j’ai oublié leur nom.

Au rez-de-chaussée un laboratoire d’analyses, je n’ai jamais bien su ce qu’ils analysaient ?

Et puis la loge où nous vivions, ma mère était concierge, nous avions plus de dépendances que le logement lui-même. Il faut dire que l’immeuble était de "standingue", avec chauffage central et tout le confort, une cour, une buanderie et un séchoir immense pour étendre le linge après la lessive, devenu atelier de mon père et accessoirement le nôtre, où nous fabriquions avec mes copains carrioles et sous-marins, plus tard nous y bricolions nos mobylettes. Personne ne se servait de ces installations, que nous avions donc investies.

Située à côté de notre immeuble, au 26 bis, une belle villa de style Mauresque, je ne sais pas qui habitait là, tout était toujours fermé, il y avait des rumeurs qui prétendaient que c’étaient des services secrets, des militaires, passons…

En descendant à droite, côté impair, en partant du haut un atelier de mécanique auto, qui ne me laisse que peu de souvenirs.

Un peu plus bas, en face de chez nous, travaillait un grand monsieur, chevelu et moustachu, un artiste peintre, qui aurait pu jouer dans un film de cape et d’épée. Pour moi, d’Artagnan, c’était lui. Tous les Algérois devaient connaître ses œuvres sans connaître ce personnage. Monsieur Marchand était peintre en lettres. Dans son atelier les pots de peinture, les toiles, les pinceaux, les échelles, et les cannes à pêche, il aimait ça, la pêche, en dehors de son métier passionnant. Tout était bien rangé et nettoyé.

Quelle est la plaque d’immatriculation qui ne soit pas passée entre ses doigts experts, dont, en un tour de pinceau, il n'ait exécuté, à main levée, assis par terre, les numéros minéralogiques avec son pinceau plat et sa peinture argentée. J’ai toujours été impressionné par son style et son habilité, je reconnaissais toujours les plaques dont il était l’auteur.

Quand il chargeait sa 203 break, avec les échelles et les grands rouleaux de calicots, c’était pour aller peindre des affiches de cinéma, qu’il réalisait avec des colorants en poudre. Extraordinaire ! Je l’ai accompagné une fois, rue de Lyon, je crois, pour assister à ce travail magique, donner vie à une toile ! Il peignait aussi des publicités sur des véhicules.

Puis vint l’époque des plaques de stationnement interdit, qui devaient fleurir les trottoirs de la ville. Les panneaux ronds arrivaient bruts, il fallait les peindre au pochoir, un passage rouge et un passage bleu. Il y en avait tellement à faire, que mon frère et moi avons tiré sur la raclette du pochoir pour avancer le travail, je ne sais plus si le résultat de notre travail était satisfaisant ?

Leur fils Jean, digne fils de son père sur le plan artistique, était un bon copain, j’étais souvent avec eux dans cet atelier. Avec Jean, nous eûmes une scolarité commune, puis ensemble vers 15 ans, ce fut l’époque des mobylettes, quand j’ai eu ma Jawa, vers 17 ans, il eut son Rumi, nous nous retrouvions, avec d’autres copains, en "bouffa", il y avait Richard, Christian, Jean Marie, et les autres ainsi que nos copines, que nous ne partagions pas... Jean nous a quitté, il y a 2 ans.

Mme Marchand, son épouse, tenait une boutique contigüe à l'atelier qui était à la fois quincaillerie, droguerie, produits ménagers, vaisselle et cadeaux. Ma mère était sa cliente en produits ménagers courants, avec mes copains, nous achetions les gros élastiques noirs et carrés pour la confection de "taouels", ou élastiques plus petits pour motoriser nos sous-marins en manche à balai ou un " houla hop ", quand la mode fut venue, fils pour "scoubidou", et autres accessoires, ludiques et inutiles.

Toujours côté impair, et en descendant, au n° 31, l’atelier de menuiserie de François Divanac’h, un breton, chez lui ça sentait bon le bois, des millions de copeaux jonchaient le sol. Dans la journée on entendait chanter en cœur le bois et la scie à ruban. Il nous laissait récupérer des chutes de bois pour nos travaux de bricolage.

Un peu plus bas, après les premiers escaliers qui conduisaient au boulevard Saint-Saëns, Mr et Mme Baresi ; lui, cordonnier, était petit, tout en rondeur et avec un accent qui sentait la Sicile, son épouse vendait du vin de Pays, Sidi Brahim, Médéa, Mascara, Rabelais et vins de La Trappe, en bouteille ou au détail, chez eux, ça sentait le bouchon et le vin.

Ils étaient voisins du "moutchou", épicier bien connu, les boîtes de conserves toujours bien empilées, les sacs de légumes secs grands ouverts, qui vous tendaient les bras, des fruits et des légumes frais : " 5 articles, encaisse, s’y you plé " criait le vendeur au caissier, quand la ménagère de plus ou de moins 50 ans avait rempli son couffin, de 5 articles précisément !

Je trouvais chez eux la confiture de patates douces "Escla" made in Esclapez, et la confiture de figue "la Carmoussette". Je n’ai jamais retrouvé l’équivalent. Parfois je faisais une entorse à ces gourmandises bien de chez nous, pour m’offrir des "produits de France" une boite de Mont Blanc chocolat ou du lait concentré Nestlé, un trou de chaque coté du couvercle, et tout y passait, jusqu’à l’écœurement.

Toujours sur le même trottoir , le n° 29 (immeuble à double issue, dont l’une d’elle aboutissait boulevard Saint-Saëns) j’avais là d’autres copains, Marcel Rubio, avec qui nous avions un code sifflé, pour nous rejoindre après le repas du midi, ce qui avait pour effet d’exaspérer mon père, "la maison elle te tombera pas sur la tête à toi", me répétait-il à chaque fois, et je filais rejoindre mon copain. Il y avait également Rachid (j’ai oublié son nom), avec qui nous échangions nos illustrés, et puis Arenas, Coll, Jean Louis Cassar et bien d’autres.

En face, en revenant côté pair, l’immeuble du n° 26, à double issue également. Retraversons le trottoir, côté impair, en descendant encore, un tapissier décorateur, puis, au 25, Pavoletti, le marchand de motos, agence officielle des motocyclettes Jawa, Motoconfort, Adler et Mobylette, notre prof de mécanique, il en a eu de la patience avec nous, il l’avait méritée, sa vente, quand je lui ai acheté ma Jawa.

Juste après, d’autres escaliers, interminables , qui rejoignaient le boulevard Saint-Saëns, à cet endroit se trouvait un vague terrain vague, aire de jeux des Davy Crockett en culottes courtes, et bâtisseurs de cabanes de tout bois. Le point de rendez-vous était un figuier, dans lequel nous tenions conseil, tout le quartier était là, nous pouvions atteindre facilement la quinzaine de têtes, de tous âges.

Et puis, dans le virage, le cinéma qui porte ton nom, Le Debussy !. Dans cette salle obscure, j’ai connu Lucrèce Borgia, Scaramouche, John Wayne, Clark Gable et bien d’autres qui nous ont fait rêver, vu des films de cape et d’épée, avec Jean Marais, des films de guerre comme « le Pont ». Ça s’était la deuxième partie, après l’entracte, en première partie, nous avions droit aux informations, à un documentaire et un dessin animé, ah ! c’était le bon vieux temps du vrai cinoche... À l’entracte, les ouvreuses répétaient, jusqu’à épuisement de leur stock : «demandez des Cœurs, demandez des Cœurs» sucettes glacées à la vanille ou au chocolat, emballées dans un papier blanc décoré de cœurs rouges, aujourd’hui c’est des esquimaux, tout simplement.

A coté, au N°21, un bar, le Claridge (tenu par un certain Montiel), je n’y suis jamais entré, il n’y avait pas de flipper.

Puis, au 21 toujours, "Radio Technique" de L. Hegedus, un électricien, sa boutique remplie de produits bizarres, des lampes de toutes tailles et de toutes couleurs, des postes de radio, neufs ou à réparer, un vrai bric-à-brac, et puis fin des année 50, apparut la boîte à images, les premiers téléviseurs, placés bien en évidence dans sa vitrine. En fin d’après midi, se retrouvaient dans la boutique de cet électricien, quelques jeunes du quartier, pour regarder, assis par terre, ébahis, cet écran qui diffusait en noir et blanc les films de Laurel et Hardy et autres dessins animés... Il fallait aller les chercher à l’heure du dîner, et là, pendant le repas, ils vantaient les mérites, faisaient l’éloge et la pub en insistant auprès de leurs parents sur le bien fondé de l’achat de cette boite magique.

En face, coté pair, les bureaux de M. Picquot (Louis de son prénom), géomètre expert, cité plus haut, grand monsieur à l’allure sévère, crâne rasé, toujours pensif.

Nous nous trouvons maintenant au n° 20, là habitait mon copain et celui de Patrice, mon frère, Malik Tiar, que nous avons eu la joie et le bonheur de retrouver, il y a peu de temps, il habite Bordeaux. Côté pair, il n’y avait pas de n° 22 et 24 ? (NDLR : non effectivement, un seul immeuble, le 20, remplaçait les anciens 20, 22 et 24. Benoit Grima, le minotier bien connu, habitait là)

A ce même n° 20, le pâtissier glacier, "le Savarin", premier commerce en descendant côté pair, qui a remplacé, dans le milieu des années 50, le couturier tailleur. Qu’est ce qu'elles étaient bonnes ses glaces à la pistache ! Aux autres parfums aussi…mais chez lui… pas de créponé, il fallait aller rue Auber, chez les italiens.

Face à ce marchand de glaces, au milieu de ton avenue, un petit square, tout petit, un îlot, posé là, sans beaucoup de verdure, qui séparait en deux l’avenue, avec 2 bancs. Nous nous retrouvions un petit groupe, nous asseyant sur le dossier les pieds sur le siège et la tchatche, sur tout et rien, s’amorçait, on sifflait les filles qui passaient par là, et le temps passait, nous étions insouciants et tranquilles, heureux, c’était notre résidence secondaire. Faut dire que j’ai passé plus de temps dans la rue qu’à l’école, je ne regrette rien, c’était d’un bon enseignement, qui a développé chez moi un goût immodéré de la liberté.

J’ai quand même reçu, parfois, de la part de mon père, quelques "calbotes", pour ne pas être rentré à l’heure prévue.

Passons sur le côté impair : se trouvait à cet endroit, un peu plus bas que l’électricien, un établissement, je crois que c’était une ambassade ou une représentation officielle, je ne sais plus très bien... À côté, il y avait la couturière de ma mère, magasin au titre évocateur, "Madame et Bébé" . Ma première cicatrice au visage c’est de là quelle vient, j’avais 4 ans,  ma mère fréquentait déjà cette boutique, bien avant notre installation dans cette avenue, elle venait « tailler la bavette plus souvent que de se faire tailler une robe ». Au dessus de l’arrière boutique il y avait une soupente, pour y accéder il fallait emprunter un escalier en bois très raide, là, œuvraient de belles couturières, assises autour d’une grande table de travail, remplie de tissu de toutes qualités et toutes couleurs, j’aimais être là, parmi elles, et entendre le bruit mécanique des machines à coudre. Pour me tenir tranquille, elles me donnaient des chutes de tissu ou me faisaient ramasser les épingles tombées sur le plancher avec un gros aimant, je n’avais pas encore l’âge de draguer… J’aurais dû y retourner, plus tard… La propriétaire des lieux, Mme Rigal, une femme brune, aux cheveux fournis et ondulés, toujours vêtue de noir, elle était veuve de guerre et n’avait pas eu d’enfant. J’aimais, quand elle me serrait dans ses bras, sentir sa volumineuse poitrine, s’écraser contre moi : faut pas faire ça, ça laisse des traces ces choses-là ! Bon, poursuivons notre route... À partir de ce point l’avenue forme un Y, sur la droite, des escaliers, qui rejoignent la rue Edith Cavell. Plantés là, entre les escaliers, de pauvres orangers sauvages, des bigaradiers, aux troncs maigres et rabougris, aux fruits amers, les fruits nous servaient de projectiles, pour nous bombarder et déconner.

En dehors de la période fruitière, et quand les chaleurs ne nous permettaient pas de buller dans le petit square d’en face, nous restions, assis, à l’ombre, sur les rampes faites de tubes de métal peints en vert, et nous attendions, là, les fruits de la saison suivante.

En descendant, l’avenue Claude Debussy continue sur la gauche, alors que sur la droite, la rue Louis Roumieu prend sa source. Nous trouvons l’entrée ou la sortie de l’immeuble du 26, celui à double issue.

Pour éviter de trop marcher, nous empruntions les escaliers de cet immeuble, en guise de raccourci, avec des ruses de sioux, nous avancions comme des chats, pour ne pas se faire repérer par la concierge, qui, quand elle nous accrochait, nous faisait faire demi-tour en nous promettant des coups de bâtons la prochaine fois. Elle gagnait un coup sur trois. C’était assez amusant de tenter cette " aventure " et sans ce faire prendre.

Puis à côté la BNCI (Banque Nationale du Commerce et de L’Industrie) devenue BNP par la suite, suivi du coiffeur, qui maniait la tondeuse à main comme personne et chez qui nous nous rendions régulièrement, c’était l’époque du "bien dégagé derrière les oreilles", pas question d’avoir les cheveux longs, pas question ! On vivait "dihors", mais les cheveux courts.

Nous sommes toujours côté pair, et à côté de ce coiffeur, LE magasin de jouets, la caverne du Père Noël, l’antre de tous les désirs, le palais merveilleux, petits soldats de toutes les guerres, cow-boys et indiens, voitures de toutes marques, de toutes couleurs et de toutes matières, avions, panoplies de toutes sortes, trains, électriques ou pas, masques, jeux de construction, Meccano, sans oublier le rayon filles, avec les poupées, poupons et les dînettes. Il y avait une belle vendeuse blonde. Quand j’avais gagné quelques sous, grâce à des pourboires pour services rendus ou que j’avais vendu suffisamment de bouteilles vides, alors là, je pénétrais enfin dans ce paradis, pour satisfaire mes désirs.

Poursuivant notre route nous arrivons au n°12 chez Mr Ayache (Isidore), le mercier : fermeture éclair, passementerie et boutons en tous genres, à l’enseigne "GUYDALAIN", un condensé du prénom de ses 3 enfants, Guy, Danièle et Alain, j’étais à l’école avec son fils, qui est devenu un patron de presse important, Alain Ayache, c’est lui.

Juste à côté, toujours au 12, "La Mouette", le magasin de r. Ruotolo, l’épicier italien, toujours paré de son tablier blanc. Motte de beurre, lait au détail, il plongeait sa mesure dans un gros bidon en alu, qui ressortait tout dégoulinant de lait, pour le verser, par l’intermédiaire d’un entonnoir, dans notre bouteille en verre, jambon de parme et saucisson, fromage à la coupe, et toutes les conserves du monde, les boîtes d’anchois, d’olives noires ou vertes, tramousses, variantes, un mélange d’odeurs exotiques flottaient dans cette minuscule boutique.

Son voisin, M. Troukhmanoff, papetier libraire, un très brave homme, un russe blanc, je me suis longtemps posé une question : mais de quelle couleur étaient les autres, je n’ai jamais osé lui demander, plus tard j’ai appris qu’il y avait des rouges, sans les plumes.

Chez lui nous trouvions nos fournitures scolaires, qui étaient un prétexte d’achat, pour venir quémander des buvards pour notre collection, il en avait toujours.

En face un carrossier, les murs de son atelier étaient couverts de peintures multicolores, un vrai tableau à la Picasso, ça sentait pas bon, et les peintres qui peignaient avec un masque et au pistolet vivaient dans un éternel nuage de vapeur de peinture, pas de cabine à cette époque, du tout artisanal.

Au-dessus, dans l’immeuble du 13 qui faisait l’angle avec une petite rue qui aboutissait à la rue Louis Roumieu, vivait la famille Chouraqui, il y avait Marc et Serge, des jumeaux parfaits, on ne savait jamais qui était Serge et qui était Marc. Aujourd’hui, l’un est huissier et l’autre Kiné. Le papa lui aussi s'appelait Isidore.

Repassons côté pair, je crois me souvenir de l’existence d’un magasin de vente de liqueurs, vins, spiritueux et épicerie fine, situé presque en face de la Clinique Solal (aux Nos 7 et 9, on l'appelait encore en 1962 "clinique de la Station Sanitaire").

Ô combien de patients laissèrent là leurs appendices ou leurs amygdales, combien de naissances et combien de capitaines… Non ça c’est une autre histoire !

Nous trouvons, à côté de la clinique, une pâtisserie "Au Trianon", tenue par Monsieur Hoguet, le beau-frère et la sœur de mon copain Marcel Rubio, puis en face un autre moutchou, la réplique du premier, un magasin de luminaires, je crois, plus bas toujours en descendant à gauche. Ici, cher Claude, dans les années 61/62 fut entrepris la construction d’un escalier mécanique, pour remplacer le long escalier pédestre, destiné à amener ses voyageurs du bas de ton avenue au boulevard Saint-Saëns, en passant par la rue René Tilloy. Divers problèmes locaux n’ont pas permis de voir l’aboutissement du chantier, qui fut malgré tout terminé plus tard, sous la conduite d’un autre conducteur de travaux.

Nous arrivons tout en bas... À droite, à l’angle de l’avenue et de la rue Michelet, un dernier moutchou, la réplique des deux premiers.

J’ai certainement oublié du monde sur le chemin, tu ne m’en voudras pas, je le sais, et les oubliés, non plus… !!

Je n’ai jamais mesuré la longueur de l’avenue, mais 4 fois par jour, les jours d’école, j’empruntais le trottoir pour me rendre à l’école Molbert, rue Horace Vernet. Deux descentes et deux montées, avec le cartable et en fin d’année scolaire, le sac de noyaux d’abricots. Les jeudis après-midi, de 9 à 12ans, c’était les cœurs vaillant que je rejoignais, à l’église du Sacré Cœur, ancienne version.

Plus tard c’est en 2 roues que nous circulions sur le macadam.

C’était un quartier calme et paisible, une avenue tranquille... Sans ses 2 locomotives, la clinique et le cinéma, aurions nous eu cette notoriété ?

Une des particularités de cette avenue, pentue et au virage serré dans son milieu, était que beaucoup d’immeubles communiquaient entre eux, le 28 avec le 16 et le 2 de la rue René Tilloy, qui lui, communiquait avec le 14, sortes de passages secrets, où escaliers dérobés et ascenseurs cachés étaient nos complices. Ça nous amusait beaucoup, nos disparitions mystérieuses en ont surpris plus d’un,…Je m’comprend… Du milieu de l’avenue, nous nous retrouvions à l’autre bout, en haut, grâce à ces passages, où bien des fois, un peu d’acrobatie, pas toujours réglementaire, était nécessaire.

Et puis, un certain jour de juin 1962, à 18 ans,…j’ai changé d’adresse, il a fallu choisir entre le drapeau ou la terre natale, j’ai choisi de suivre le drapeau, de lui rester fidèle, ai-je bien fait ?

J’ai abandonné la terre, qu’il m’arrive de retrouver parfois, quand l’air du Pays me manque, de retourner à cette ancienne adresse pour prendre des nouvelles du quartier. Le décor est le même, quoiqu’un peu défraîchi, mais les acteurs qui l’animaient et que j’ai connus ont disparu.

Dans ce bouleversement, j’ai même changé de continent, je suis "monté dans le nord", j’ai rejoint ta région de naissance, la région Parisienne, j’ai mis 6 mois pour y parvenir, maintenant je suis loin de la mer et j’ai froid, on n’est jamais content.

Chez moi, pas d’amertume, pas de rancœur, ni nostalgie, juste des souvenirs.

Aux dernières nouvelles, les autorités locales ne t’ont pas trouvé de remplaçant, toi, tu es toujours là, et moi, si j’étais resté aussi, que serais-je devenu ?

Je t’ai amené avec moi dans ma valise, que je n’ai d’ailleurs jamais réellement posée, je ne t’ai jamais oublié et il m’arrive encore assez souvent de prononcer ton nom, associé au n° 28.

Voilà mon cher Claude, tout ce que j’avais à te raconter, j’espère que tu nous as tous supportés, que tu as été bien parmi nous. Là ou tu te trouves aujourd’hui, il y a autour de toi beaucoup de ces braves personnages qui ont animé cette avenue, j’en connais un certain nombre, dis leur bonjour et embrasse les de ma part.

Avec mes plus affectueuses pensées

Ton compagnon de route

Yves Jalabert

cliquer sur les photos pour les agrandir

 



 Le plan de l'avenue

 

 

 

 



 Le palmier Phoenix

 



 
Devant le 28, l'avenue monte, mon frère et un copain, 53/54, on aperçoit le palmier entre eux deux



Devant le 28, mes cousins,  l'avenue descend



 
L'avenue, photo prise dans le virage, dans mon dos le ciné, l'immeuble du 28 en haut à droite

 



 
L'immeuble du 28

 

 

 

 



 
L'âge des mobylettes, 59/60, le trio (mais y zété 4). De gauche à droite : R.Blanchard,Y. Jalabert, J.Marchand. Photo prise par C.Denameau, Forêt de Baïnem.

 



 
Patrice et Yves sur la Jawa, en face du 28, devant l'atelier et le magasin de la famille Marchand

 



 
Jean Marchand et son Rumi

 

 Les "moutchous" ou "mozabites", berbères, d’origine yéménite lointaine, refoulés de toutes parts, à cause de leur rite dissident de l’Islam traditionnel, formant la secte, très stricte, des kharidjites, sont tous issus de la région du M’zab, 600 km au sud de la capitale, ou ils trouvèrent refuge, au 11éme siècle, vers 1012, dans ce coin de désert, là où le Bon Dieu il a perdu ses savates, pour fonder 5 villes, la Pentapole : Melika, Bou-Noura, El-atteuf, La ville sainte Beni-Isguen, et bien sûr la capitale, la plus connue, Ghardaïa, classée, par l’UNESCO, patrimoine mondial.
Ils vivent en autarcie totale, d’où des problèmes de dégénérescences liés à la consanguinité.
De ce coin de désert hostile, et à force de travail, de courage et d’ingéniosité, ils réussirent à faire pousser fruits et légumes que nous retrouvions sur les étals de leurs boutiques.
Ils avaient inventé avant l’heure, les chaînes de magasins.
Autre particularité, qui j’en suis sur, je vous connais, a du vous faire sourire, leur sarouel, pantalon "cabinet" à trois jambes… qui vu de dos, je l’avoue, faisait sourire.

 



 
L'escalier interminable en montant à gauche, jadis, un figuier était planté là !...

 



 
Le ciné, à gauche le Claridge et l'électricien

 



 
L'entrée du 20 et le Savarin

 



 
Le Savarin et l'entrée du 20 en 2005

 



 
Dans le petit square, en 2005, les coutumes n'ont pas changées... !

 


 
 Carton réponse et pub "Madame et bébé"



 
La même vue que la 10 en 1948, j'avais 4 ans ... ne riez pas ..!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 
Printemps 62... Quelque part "à la mer" : Jean, Brigitte, Paul, Yves, Cathy, Christian, Richard ... et les autres

 



 
Patrice, Rachid, Marcel, Malik

 



 
Christian, Yves et ... Selecto.

 



 Les mêmes, 43 ans avant, en 62, seule la 4cv n'a pas pris de rides

 



 Une fiesta avec les amis retrouvés. De gauche à doite : Malik Tiar, Christian Denarneau, Yves, Henri Rindovetz, Patrice Jalabert

 

Aujourd’hui, Christian vit en Bretagne, Richard en Auvergne, Malik dans le Bordelais, Jean qui nous à quittés, était dans le Var, Jean Marie, Patrice et moi en région Parisienne, quant à tous les autres, ils sont perdus dans la foule, les retrouverons nous un jour ?


L'illustration musicale de fond, est le début de "Docteur Gradus ad Parnassum", extrait de la suite "Children’s corner" (bien connue des mélomanes) ... et de Claude ... bien sûr
(seulement un p'tit bout, pour éviter de tomber sous le coup du piratage musical... et en boucle ... pour le "fun"... même si ça peut paraître lancinant )



Cette illustration philatélique n'est sensée viser personne..., mais on l'a trouvée sympa