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Square Guynemer
le prix de l'oublie.
Quand je l'ai revu en septembre 1984, mon dieu qu'il était petit , notre square Guynemer ! Presqu'un jardin japonais, avec en entrant à droite sa petite maison de gardien du siècle dernier, aux bordures de toit festonnées. Ses allées bien tracées s'arrondissaient autour de la pelouse centrale comme des bras de maman. Tout au bout à gauche se dressait la petite fontaine, inchangée après vingt deux ans. L'eau n'y jaillissait plus, on l'avait méchamment ripolinée de jaune, mais c'était bien elle.

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En superposition aux enfants qui jouaient là par cette belle journée de septembre, je voyais tourner les sulkys à pédales. Le marchand d'oublies, en agitant la planchette sur laquelle il avait fixé une poignée de volet en "U", rassemblait les enfants avec un "tacatac" métallique. Nous arrivions vers lui, délaissant un instant les voitures à cheval, nos jeux, et nos illustrés sur les bancs, Meteor, l'Intrépide, Charlot, Gary, Battler Britton. Nous lui donnions quelques pièces, peut-être une seule (quel était le prix de l'oublie ?). En échange il tirait du long cylindre bleu qu'il portait en bandoulière les beaux cornets blonds imbriqués les uns dans les autres et rangés en piles dans le fût métallique. Nous repartions, croquant du bout des dents dans les cornets de fine pâte gaufrée.
Parfois nous allions jusqu'à l'un des escaliers, des volées de quelques marches, qui menaient à la large allée en contrebas. Elle flanquait le square sur deux côtés et donnait sur le port et au delà sur la mer. Arrivés en haut des marches, entre les plantes vertes géantes aux feuilles épaisses en dents de sabre dentées, couturées de cicatrices, nous quittions l'ombre du square et son brouhaha de cris d'enfants. Le souffle venu de la mer nous cueillait avec violence, il gonflait brusquement nos vêtements, c'était comme un parachute qui s'ouvre, et, les yeux mi-clos, nous n'étions plus que ce saisissant mélange de lumière sauvage et de silence modulé par le vent.
Non, le temps avait passé, il n'y avait plus de sulkys, plus de marchand d'oublies, plus d'illustrés sur les bancs, plus de monument à Guynemer. Mais le vent, le soleil, et même la petite fontaine, l'essentiel était encore là. Je suis revenu par le boulevard Baudin qui maintenant s'appelle Amirouche, j'ai refait à pied l'itinéraire qui le jeudi nous menait mon petit frère et moi depuis chez ma grand-mère, qui habitait au 22, presque au carrefour de l'Agha, jusqu'au square Guynemer. Sous l'ombre froide des arcades, en face de là où était la maison de l'agriculture, je me suis souvenu de cette vitrine où dans une lumière électrique des poussins bien vivants couraient entre des mangeoires d'un aluminium étincelant.
Plus loin, le cinéma Cameo, qui ne s'appellerait plus ainsi en 1957, et qui s'appellerait encore plus tard le Djurdjura, était abandonné au fond du passage du numéro 18. A gauche de l'entrée il y avait toujours, mais fermée, la petite cahute comme celle des marchands de billets de loterie. C'est là qu'en partance pour le square, notre mère nous achetait les illustrés et les confiseries de ces après-midi de douceur absolue.
Pierre s'approvisionnait en minuscules caramels durs carrés, qu'il dépiauterait de leur papier et se fourrerait dans la bouche avant d'y laisser couler avec délice l'eau de la petite fontaine.
C'est aussi là qu'on achetait des petites langues de chocolat fourré à la pistache, le plus délicieux étant le papier métallique brillant qui les enveloppait, tellement plaqué au chocolat qu'il en était difficile à arracher, il fallait le gratter du bout de l'ongle, et le métal restait dessous en mini copeaux brillants. C'étaient comme des petites momies à croquer emmaillotées d'argent.
Un jour, j'ai grandi. Je ne suis plus retourné au square Guynemer, c'était bien avant 1962. Je ne m'étais pas même aperçu que le Cameo ne s'appelait plus Cameo. Ce n'est que sur la fin du siècle, en consultant la collection de l'Echo d'Alger, que j'ai découvert que l'été 57 il était devenu le Vendôme. Peut-être si nous étions restés aurais-je oublié le petit square au bout du boulevard, comme au bout d'une piste d'envol vers la lumière. Mais l'exil rend précieux les plus anodins de nos trésors enfouis, et voilà, il m'est revenu.
GD, décembre 2000.
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 Vue aérienne, datant de 1936. On distingue parfaitement le tracé des anciens remparts, la Grande Poste, et le square Guynemer.
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 Verso de la carte ci-dessous, envoyée au début du XXème siècle à Mademoiselle Veyrac, Mèze, Hérault.
"Au bout du petit square, les mamelons que vous voyez sont les coupoles de l'ancien fort Bab Azoun. C'est maintenant la caserne du 6ème groupe d'artillerie, c'est là où j'ai passé l'hiver dernier, quand je viendrais (sic) je vous donnerai d'autres explications".
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Le square Guynemer peu de temps après son installation. Les arbres viennent juste d'être plantés. Le square pour l'instant s'appelle Bab-Azoun, pas encore Guynemer. Le futur héros, né en 1894, existe déjà, quelque part en France, la guerre reste à venir. A gauche, au début de la rue de Constantine (future rue Alfred Lelluch) et à la hauteur du début du boulevard Laferrière, protégé par un auvent de toile, le "Bar de l'ancien fort Bab-Azoun" (anciennement "Café du port" ?). Il deviendra "Café du Fort Bab-Azoun" (1922, téléphone 11.52, Henri Talandier propriétaire), puis "Brasserie Bab-Azoun".
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Ci-dessous : le Square Guynemer "de notre temps", milieu des années 50, carte de l'éditeur Jansol. Devant la Brasserie Bab-Azoun, un vamion de livraison et ses caisses de bouteilles.
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BORDJ RAS TAFOURA
ou BORDJ BAB AZOUN
Ce que nous en dit le site 'Vieil Alger" :
* Construit vers 1532 par HASSAN PACHA
* En 1830, utilisé pour le logement des troupes.
* Longtemps il servit de pénitencier.
* Terminaison de la partie sud du boulevard de la REPUBLIQUE.
* En 1905, ses fondations disparurent lors de la construction du boulevard LAFERRIERE.
* Le square GUYNEMER fut édifié à son emplacement.
Vous avez peut-être une photo (plusieurs ?) vous représentant enfant au square Guynemer ? Ne les gardez pas que pour vous ! Revenez jouer au square Guynemer ! Confiez-nous cette photo, votre place est ici ! (après scan, retour assuré en recommandé).
Et sinon, quels souvenirs avez-vous gardés du petit square Guynemer ?
Le square s'était orné en 1919 du monument à Guynemer que nous avons connu, oeuvre du sculpteur Fourquet. Qui saurait ce qu'il en est advenu ?
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