Poème pour Fromentines

 

 

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T’en souviens-tu, ma fille, après l’heure d’étude,

Ô comme vous aimiez ma verte solitude,

Sous les buissons blotties de ma chère « Esplanade »,

Ou sur la rampe lisse osant une glissade…

De la récréation vous guettiez les moments,

Une pionne disait : Jouez mais je défends

Qu’on monte dans un arbre et qu’on grimpe aux « Créneaux ».

Et vous obéissiez, toujours,…ou peu s’en faut.

Souvent, je me gaussais de vos bruyants effrois

Lorsque vous traversiez en courant mes sous- bois

Et trouviez à vos pieds ces bestioles rampantes

En longue file pieuse aux vertus urticantes.

Près du « Kiosque » interdit, les jeunes évitaient

Un « ballon prisonnier », les grandes échangeaient,

En marchant lentement, leurs intimes secrets…

« Ce beau garçon bronzé, élève de Bugeaud ? 

Entrevu cet été au bal de Fort de l’Eau…

Et puis cette pin-up, ô scandale envié,

Qui dimanche dernier, fut élue « Miss Alger »

Les anxieuses tentaient, assises sur la pierre,

De réviser des maths ou d’écrire à leur mère.

La cloche qui sonnait, hélas vous appelait

Autour des « Escaliers », en rayons bien rangés ;

Mais l’orage et la pluie vous entassaient fort vite

En un troupeau bruyant, dans la « Cour » trop petite.

Ô mon enfant, ma fille, ô douce souvenance,

De ces moments heureux, Lycée de ton enfance,

Je sais que maintenant, tu en as la mémoire !

Alors va, aujourd’hui, et redis mon histoire.

Depuis la nuit des temps, des temps de l'Algérie

Française – et fière de l’être – on me nommait amie,

« Splendid », jadis hôtel pour touriste doré.

Je fus ainsi  « l’Annexe », ô vocable abhorré,

De la « Ligue » appendice, au loin, sur les hauteurs

De ce qu’on appelait Mustapha Supérieur…

Enfin Hatinguais vint ! notre libératrice,

De l’émancipation, ce fut elle l’actrice.

Sous son bras tout puissant, je fus « Lycée de filles ».

J’étais beau, j’étais fier. Passées les lourdes grilles

Je régnais olympien sur tous mes bâtiments .

« L’Accueil », l’intendance attendaient mes enfants.

Tout au bout de «l’Allée ». Sous les arbres blottis

« Oasis, Gai Logis, la Ruche » et puis le « Nid »,

Mes vastes pavillons, le double « Réfectoire »…

Te gardaient, pensionnaire, en ces matins de gloire.

Je n’ai pas oublié mes grands « Terrains de Sports »,

( Pour que l’âme s’y plaise, il faut soigner le corps ! )

De la rue Zaatcha, l’œil d’envieuses passantes

Voyait évoluer vos vagues déferlantes ;

Et du tournant du golf, les témoins curieux

Surveillaient à l’envi vos ébats gracieux.

Enfin toi, fier fortin  médiéval – barbaresque

Dominant « l’Esplanade » aux « Créneaux » accueillants, 

Tu regardais le Port mais veillait mes enfants !

Bref, j’étais devenu Lycée à part entière

Et quittai à jamais la  « Ligue »  tutélaire ;

Mais j’étais un lycée sans nom, ou peu s’en faut :

Désormais devenu pour tous « Lycée d’en haut ».

Est-ce là donc un nom ?  même si cela sonne

Mieux que « Lycée d’en bas »…n’allons choquer personne. 

Je m’épanouissais dans ma jeune beauté

Pour mon anniversaire, un pin était planté…

Un été paresseux, éclata cette guerre

Qui bientôt ébranlait et la France et la terre.

Passèrent quelques mois…Un jour on s’avisa

De donner un vrai nom aux lycées  de là – bas.

C’est Madame Toupine, ai-je bonne mémoire ?

Qui eut enfin l’honneur sans pareil et la gloire

(Corrigez moi ,enfants, si j’embrouille les mots)

De me tenir enfin sur les fonts baptismaux.

Mais ce dont je suis sûr, je le dis tout de go,

Des grands lycées de France, oui, j’étais le plus beau !.  

FROMENTIN, je devins, peintre des plus illustres

J’empruntais ton beau nom…hélas ! pour quatre lustres.

Mais le vent de l’histoire changea ma « Direction » :

Il fit régner sur vous Demoiselle Budon.

Chaque lundi matin, tout autour du drapeau

Très sagement rangées, vous entonniez bien haut

Un chant patriotique aux relents de défaite.

Insoucieux enfants, ce n’était pas une fête

Que vous célébriez dans le sens de l’histoire !…

Quant à moi, j’attendais un tournant de la gloire  

 

.../...  suite

Il arriva ce jour, quand les Américains

Près de Sidi Ferruch débarquèrent enfin.

Capitale de France, Alger, tu le devins.  

Moi, je connus alors un illustre destin ;

J’accueillis en mes murs tout le Gouvernement

De la France en exil. J’étais fier et pourtant,

Quel serait votre sort, mes chères Fromentines,

Sevrées de tout savoir, désormais orphelines.

Mes internes chassées ?  Bien peu à Miliana-

Marguerite, avec les lycéens, les « Prépas »,

Dans l’étude, au grand air, trouvèrent un abri.

(Savez vous que certaine y élut son mari ?)

D’autres, à Guyotville, au Centre de Repli

Des Lycées de la ville, eurent refuge aussi.

Mais à Tizi Ouzou, reine de Kabylie,

Fromentin déporté, j’eus résidence amie

Pour mes pensionnaires, mon administration

Et pour mes professeurs ;  une consolation !

Aux externes perdues dans Alger en alerte,

De mon frère ennemi la porte fut ouverte.

Tout honteux et confus, je dus lui rendre grâce

D’oublier mon mépris en partageant sa place.

Elèves confondues le samedi matin

Delacroix vous permit d’étudier quelque brin.

Découpant la semaine, occupant tout l’espace,

Chacun des deux lycées , l’an suivant ,pour leur classe

Offrit à ses enfants en six demi – journées,

Un travail plus sérieux…matières  « concentrées »

Vous vous habituiez aux petites semaines

Et vous vous promeniez dans les rues plus sereines…

Deux ans s’étaient passés. Par un grand jour d’hiver,

Partis le général, les Ministres divers

Je pus redevenir enfin votre lycée,

Recouvrer avec vous statut de gynécée,

Pourtant, que j’étais laid, par la guerre apprêté,

Tout d’ocre bariolé et de vert camouflé.

Ce jour là, je vous vis monter ma grande allée

Dans le recueillement, la lenteur étonnée

Comme des pèlerins s’élèvent silencieux

Vers un lieu sacré, objet de tous leurs vœux.

C’était le premier jour. Mais dès le lendemain

Vos rires et vos cris retrouvèrent l’entrain

Heureux dans les appels, à nouveau j’entendis

En tous vos noms unis, l’écho de mon pays :

Aouidad, Juaneda, Bensoussan, Orsoni

Frespech, Bresson, Sintès, Borel, Khaled, Hini…

Et tant d’autres, montrant la vraie fraternité

De ces classes mêlées qui étaient ma fierté 

Ces filles de colons, d ‘avocats, d’enseignants,

D’artisans, d’ouvriers ou bien de commerçants,

Ces enfants méritants des quartiers inférieurs,

Ce peuple bigarré, ma richesse, mon bonheur.

Vous toutes dont j’ai pu  hausser l’ambition

Vers de brillants honneurs par votre instruction

Vous étiez de retour. Ma vie recommençait.

A la récréation, dès que l’instant sonnait

Vous vous précipitiez aux croissants de Marie.

(C’est elle qui tenait aussi  « l’Infirmerie » )

J’entends vos moqueries quand, portant les cahiers,

Jeanne allait trottinant sur ses jambes arquées.

Ils étaient revenus, bien sûr, vos professeurs,

Adorés ou haïs, dévoués ou sans cœur.

L’histoire et les édits de l’Administration

De l’établissement  changeait la Direction :

Bosc, à nouveau Toupine, à la tenue altière

Bosc encore une fois…Elle fut la dernière.

Nous ne le savions pas.

Quand vint la Grande Epreuve,

Ne pleurez pas, enfants, l’Histoire a fait son œuvre.

Lors je vous vis lutter et gémir et partir….

Lycée abandonné, qu’allais-je devenir ?

Je sombrais lentement en morne léthargie…

Lorsque l’ALYDFA fut, m’offrant une survie .

Désormais l’Alydfa a ravivé ma flamme.

Lycée inanimé, je sais que j’ai une âme

Attachée à votre âme et la forçant d’aimer.

Revivez les moments qu’ensemble nous connûmes

Et que vos jeunes cœurs aux souvenirs s’allument

Ne pleurez plus, enfants, ces bonheurs révolus.

Quand vous serez bien vieilles, quand vous ne serez plus 

Lorsque vos rêves bleus seront des rêves morts

Dominant l’Esplanade et la Ville et le Port

Moi, je serai debout, lycée de votre enfance,

Krak symbole et témoin de l’œuvre de la France

                            L.B.V 

 

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