La dernière promotion

Années 1955-1962

 

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Lorsque la dernière « Promotion »  entra à Fromentin en sixième, à l’automne 1955, la guerre d’Algérie était commencée depuis un an. A cette époque l’entrée en 6ème n’était pas automatique. On passait, à l’issue du CM2, un examen qui tenait du concours, puisque seules les meilleures notes obtenues donnaient accès aux meilleurs lycées. Fromentin, mené de main de maître par le Censeur, Madame Gineste, était l’un d’eux.

Après la sixième et la cinquième, la quatrième est arrivée et s’est terminée en apothéose avec le 13 Mai 1958. Quelle effervescence ! Quel enthousiasme ! Quelle communion des cœurs et des esprits ! Nous avions beau faire des études ,cela ne nous empêchait pas de vivre de toute notre âme les évènements heureux ou tristes qui secouaient notre pays et de vibrer avec une intensité décuplée par l’ardeur de la jeunesse .

La féminité de ces demoiselles s’éveillant, les tabliers roses des pensionnaires et les tabliers bleus des externes n’empêchaient pas les concours de chaussures à talons, de bas nylon, de vernis à ongles ou même de maquillage et les bavardages allaient bon train quant aux premières surboums. Bref, les premiers émois agitaient le landerneau des Fromentines en fleurs et, aux cours de français, les élans de Chimène pour Rodrigue rencontraient des échos particuliers dans les cœurs romantiques.

Toutes ces montées de sève ne nous faisaient pas pour autant oublier cette maudite guerre qui secouait l’Algérie tout entière. Nous en parlions avec passion et nous partagions fraternellement la douleur des pensionnaires qui, périodiquement, le Lundi matin, de retour du « bled », arboraient un crêpe noir épinglé sur la poitrine. Les sinistres bombes déposées dans les bus lors des sorties d’écoles faisaient des ravages. Souvent, les entrées et sorties d’établissements scolaires étaient mitraillés au point que chaque Direction avait pris des mesures pour éviter tous attroupements. Nous avions constamment cette peur au ventre mais continuions néanmoins à vivre normalement.

Dans ce climat perturbé il fallut tout de même préparer notre premier Bac en Juin 61, puis le second, l’année suivante; mais le mois de Mars 1962 fit funestement date dans notre vie de  lycéenne et dans notre vie tout court. Les accords d’Evian marquèrent le commencement de la fin. Au mois de Mai 62 la plupart des élèves cessa de fréquenter le lycée. Il n’y eut pas de session de Bac en Juin et le drame de l’exode débuta…

Il n’est pas possible d’évoquer ces années de lycée si chargées d’émotion, sans parler de nos professeurs, dont certains ont marqué profondément le souvenir de leurs élèves.

Mademoiselle Roseau, professeur d’histoire et géographie, dont le frère s’est impliqué largement dans l’affaire de l’Algérie.

La  señora Calmon, au visage de menine, avait un curieux tic : elle croisait continuellement son majeur sur son index et le faisait coulisser sur ses deux premières phalanges.

L’étonnante mobilité de ses yeux et son curieux nez sans racine, comme directement scotché sur son visage, rendaient comique Mademoiselle Chauvin, professeur de physique et chimie.

Mademoiselle Gondard, professeur de Sciences Naturelles, était émotive, souvent au bord des larmes mais la plus humaine et la plus proche des élèves.

Mademoiselle Delacoste, professeur de latin, remontait toujours ses petites lunettes rondes d’un léger coup d’index, tandis que Mademoiselle Chazel,professeur de philo, avait tendance, par suite de son défaut de langue, à donner aux  « libellules » encore plus de « l » qu’elles n’en avaient.

Mademoiselle Rudigoz  (devenue la belle fille de Mme Lassere, prof de Mathématiques à Delacroix puis à Fromentin), la plus jeune Agrégée de France en histoire et géographie  - 21 ans  - arrivait de Métropole la tête farcie d’idées pré-conçues à l’égard des pieds noirs, ne savait comment prendre les filles qui n’avaient que quelques années de moins qu’elle.

Elle avait la trentaine, une silhouette de basketteuse, une paire de jambes à ravir…Le solitaire rose de sa bague de fiançailles donnait le vertige…Telle était Madame CORON, excellent professeur de Maths.

D’instinction on ne la chahutait pas : aussi froide et impénétrable qu’un sphinx, elle était aussi complexe que les mathématiques qu’elle enseignait. Madame Troupel n’avait pas le genre à plaisanter.

Toutes seront unanimes à se souvenir de Madame Le Vaillant comme un extraordinaire professeur de français, latin grec. Passionnante, elle vous rendait capable de traduire n’importe quelle version latine à livre ouvert.

Prenez un zeste de folie, un soupçon de gags, pas mal de pédagogie, encore plus de fantaisie et vous découvrirez la sémillante Madame Bourdion, professeur de physique/chimie. Tout Fromentin se souvient de ses ahurissantes robes et jupes archi-moulantes, au point qu’il lui fallait de l’aide pour monter dans les trolleybus. Elle était fantasque et fantastique.

Elle était musicienne, douée pour déclencher les hourvaris, irremplaçable pour ce poste mal payé : tout le monde aura reconnu la célèbre Mademoiselle Meillon. Les cours de musique avaient lieu les dernières années, dans des bâtiments préfabriqués, aux Pins.

Nous retrouvions tout ce monde lors de la Distribution des Prix, ce grand moment qui clôturait avec panache, l’année scolaire : véritable cérémonie avec ses rites et ses préséances, où professeurs et élèves y faisaient assaut d’élégance. Pour rien au monde nos n’aurions voulu y renoncer.

Telles furent nos jeunes années à Fromentin, studieuses et optimistes, d’un optimisme forcené malgré l’adversité quotidienne. Et dans un avenir que les évènements ont brutalement précipité, toutes ces jeunes filles ont montré, en devenant rapidement des adultes « debout », courageuses  obstinées, responsables, qu’il « ne faut pas perdre l’utilité de son malheur », comme l’a écrit Saint Augustin.

 

 d’après un Article de Roselyne Vaille-Miquel

 1998

 

 

Le jardin

 

 

 

 

le réfectoire

 

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