Les chemiseries Donville d'Alger


L'emblême des chemiseries Donville : un hippocampe ailé,
dessiné par le grand-père de Bernard.
Il nous rappelle avec émotion celui des avions d'Air France,
ou les statues ornant le bassin du côté de l'avenue du 8 novembre.

par Bernard Donville




   Mon grand père Maximilien DONVILLE est venu à Alger en 1922 comme gérant d'une chemiserie de chaîne (dirait-on aujourd'hui) "Fashionable", magasin qui se trouvait rue d'Isly face au Casino Municipal.

   Quelques deux ans plus tard il décidait de voler de ses propres ailes en ouvrant rue Dumont d'Urville une grande surface de trois étages de Chemiserie-Chapellerie. Le dernier étage donnait directement sur la rue Dumont d'Urville alors que les étages inférieurs aboutissaient face à l'Église Saint Augustin.

   À l'époque être chemisier consistait non seulement à vendre des chemises mais aussi à les fabriquer sur mesures, ce que faisaient mon grand père et mon père. Mon grand père était en outre vendeur étalagiste à Paris et le jour de l'ouverture de son magasin il fallut appeler la force publique pour permettre aux trams de passer à travers l'attroupement que la vitrine fignolée, avec mannequins comme à Paris, avait créé.

   Du reste à l'époque tout était prétexte à la fête, même une braderie !

   Voyez celle de 1932 que vous pourrez comparer à des plus récentes.

   Très rapidement la qualité de la façon, les tissus employés et la compétence des vendeurs firent le succès du magasin auprès de la bourgeoisie algéroise.

   En 1939 mon grand père acquit un plus petit magasin face à la Grande Poste (61 rue d'Isly) pour y installer mon père. Ce magasin fut inauguré le jour même où mon père mobilisé quittait la terre d'Algérie pour servir son pays et prendre quelques cinq ans de vacances au stalag XI A !

   Face à la pénurie de matières premières et de bras, mon grand père abandonna le magasin de la rue Dumont d'Urville pour ne s'occuper que de celui de la Grande Poste. Les souvenirs que j'en ai sont associés aux bombardements qui nous obligeaient parfois à aller passer la nuit dans des abris comme celui de la rue Serpaggi. En effet, il avait fallu préserver les vitrines qui étaient devenues minuscules, constituées en général de bois avec des petites ouvertures vitrées ; si on voulait savoir ce que le magasin vendait on devait vraiment y coller son nez. Mais il n'y avait pas grand chose à vendre et on dut se diversifier. C'est ainsi qu'il s'y vendit des parfums d'origine parfois arabe, récupérés chez M. Zouaï près du marché de la Lyre. Mais pour un vendeur de Paris, la présentation a tant d'importance que mon grand-père passait ses soirées, en m'embrigadant parfois, à réaliser des boîtes luxueuses avec des papiers brillants pour ces petites bouteilles insignifiantes.

   Après le retour de captivité de mon père le magasin fut refait et orné d'un magnifique blason, tout à fait imaginé par mon autre grand-père, et qui devint la marque de tout ce qui allait être vendu par DONVILLE. La chemiserie fut connue comme une chemiserie de luxe car on y vendait beaucoup d'exclusivités de grandes marques parisiennes, introuvables ailleurs.

   En outre mes parents avaient déposé la marque "Comme Papa" pour que la plupart des objets de chemiserie puissent être trouvés en modèle réduit : les enfants pouvaient devenir chics ! Peut être que certains d'entre vous ont eu la chance d'être ainsi sapés smart ?

   Située au coeur de la ville, la chemiserie était le rendez vous, souvent, de clients fidèles et amis comme le peintre Bouviolle ou les Trois Baudets.

   Je ne sais ce qu'est devenu ce magasin, on peut le voir sur la photo ci-contre, après, longtemps après…


Bernard Donville, 2002.



Donville : la griffe !

Ci-dessous, une boîte rescapée du grand naufrage,
du temps du magasin de la rue Dumont-d'Urville,
comme il dut s'en trouver à Noël
dans bien des souliers de papas élégants.

Cliquez sur les photos pour les agrandir



L'emplacement du premier magasin rue Dumont d'Urville




Le premier magasin est au 8, rue Dumont d'Urville.
Il fait l'angle avec la petite rue Turgot,
qui longe l'église Saint Augustin,
et en contrebas aboutit rue Colonna d'Ornano.




C'était rue Dumont d'Urville, les 2 et 3 avril 1932.
Juste à droite on voit le bout de l'enseigne du magasin.
"Les déguisés au premier plan à droite sont mes grands-parents".




Les parents de Bernard lors d'une braderie,
devant leur magasin rue d'Isly (1950 ?)