Hommage au Professeur Denise Coustaut

(Teniet el Hâad 22/04/1925, La Rochelle 8/07/2013).


   C'est une amie très chère que nous perdons avec le départ du Professeur Denise Coustaut, notre si chère Denise.

   Pour moi, une amitié exceptionnelle née il y a plus de cinquante ans et jamais démentie ni affadie malgré le temps et l'éloignement géographique de nos points de chute universitaires, ce qui n'empêcha pas de nous retrouver souvent dans son laboratoire ou chez elle à Lambersart les Lille. Nous nous sommes vus plus régulièrement depuis qu'elle s'était retirée à La Rochelle et c'est un grand privilège que d'avoir été près d'elle quand la maladie l'a frappée… Là aussi elle a fait preuve d'une énergie exceptionnelle en réussissant à la surmonter dans un premier temps et à trouver la force de communiquer à nouveau et même de répondre au téléphone à sa cousine Huguette de Sarlat. Denise avait un courage et une force vitale exceptionnels et ne se plaignait jamais.

   C'est avec la plus grande émotion qu'il me faut vous parler d'elle.

   Elle était née à Teniet el Haâd, ravissant village d'Algérie, d'un père Landais, sous officier au 6ème Chasseurs d'Afrique et d'une mère Institutrice.

   Diplômée de l'École Normale de Jeunes-filles de Miliana elle avait été l'élève de ma grand-mère et, depuis cette date, des liens d'affection liaient nos deux familles.

     Marquée par ces origines, Denise tenait autant à ses racines gasconnes dont elle cultivait la convivialité proverbiale qu'à sa naissance méditerranéenne dont elle avait la joie de vivre, la simplicité directe et la fougue. Elle se reconnaissait des deux rives et tirait sans doute de ce dualisme sa forte personnalité et ses contrastes enrichissants.

   Denise était une fidèle, d'une droiture exemplaire, d'une fiabilité absolue, d'une loyauté sans failles.

   Attachée à des valeurs pleines d'idéal et de passion, elle ne transigeait jamais avec ses convictions et quand elle s'engageait, allait toujours jusqu'au bout. À toutes ces qualités s'ajoutait une intelligence prodigieuse et des qualités de coeur dont je reparlerai.

   Denise Coustaut a fait une carrière particulièrement brillante et fut une enseignante appréciée et une scientifique très féconde.

   Elle fit ses études de Pharmacie à Alger et, sous les conseils de mon père qui l'avait eu comme élève et la tenait en haute estime, se dirigea d'emblée vers la carrière universitaire. Naturaliste passionnée Denise opta pour la botanique et s'y jeta avec une ardeur et une puissance de travail qui lui fit obtenir tôt les postes d'Assistant puis de Chef de travaux dans le laboratoire du Professeur Roque. L'époque était à la botanique traditionnelle mais Denise, ardente avant-gardiste bien qu'elle fut experte en la matière, piaffait pour imposer le passage novateur à la biologie cellulaire végétale qu'elle travaillait de son côté et dont elle obtint brillamment l'Agrégation à Paris en 1961. C'est pendant cette époque qu'elle compléta ses études de Sciences au moment où j'effectuais les miennes et que se construisit notre amitié autour d'un goût commun des sciences naturelles pratiquées sur le terrain.

   C'est avec beaucoup de plaisir que nous évoquions cette période insouciante de communion avec une nature particulièrement solaire et généreuse, souvent inconscients du danger potentiel, et parfois de nos facéties d'étudiants auxquelles s'associait volontiers son frère Dédé, période vite abrégée et assombrie par les contraintes de l'Histoire.

   C'est donc comme Professeur de Biologie Cellulaire qu'elle fut nommée à Lille en surnombre dans la chaire de Botanique et sans aucun moyen. Denise ne se démonta pas et fidèle à elle-même déborda hors du labo pour travailler et se faire reconnaître par divers instituts en France et en Belgique et y accumuler les succès. Car Denise était une chercheuse née et une Directrice de Recherches d'exception. Elle avait le don de dénouer les situations inextricables où tout le monde pataugeait en imaginant des approches auxquelles personne n'avait pensé et une fois le chemin choisi dirigeait ses chercheurs avec une énergie farouche dont l'intransigeance bienveillante fut toujours acceptée de bon coeur. Je suis souvent allé la voir dans ses différents labos et elle fut toujours de très bon conseil dans mes programmes de recherche.

   À force d'opiniâtreté de travail et de talent, Denise tint les promesses de ses débuts algérois et fit un trajet exemplaire et particulièrement fécond.

   Chose rare pour une pharmacienne, Denise obtint la direction d'une équipe INSERM dont les résultats sont reconnus dans le monde entier et elle y accumula honneurs, médailles et "awards" qu'elle aimait à exposer dans son bureau. Elle dirigea également plusieurs équipes à Lille comme à Montpellier et même une équipe du CNRS.

   Les résultats de ce travail acharné sont significatifs.

   Les principales avancées concernent deux sujets importants dans la gestion du patrimoine végétal : l'analyse du gène de stérilité chez les plantes cultivées (RCP 115, CNRS), et celle des iso-enzymes impliqués dans la variabilité des écotypes.

   Mais l'apport majeur et fondamental fut, en biologie humaine et en médecine, la mise à disposition pratique des liposomes (NC4 INSERM Lille) ouvrant des perspectives très importantes en thérapeutique comme en cosmétique.

   Ce sont ces progrès majeurs qui lui valurent de terminer sa carrière au plus haut niveau dans la chaire de Biologie-Cellulaire créée spécialement pour elle à Montpellier.

   Elle y remonta une équipe de grande qualité et y forma un successeur de grand talent.

   À la retraite Denise revint se fixer à La Rochelle près de son frère, le Dr André Coustaut, et retrouva les souvenirs de sa saga familiale parmi lesquels elle vivait dans son appartement inondé de lumière, face à une vue splendide.

   Même ainsi Denise continua à travailler sur les sujets d'actualité cherchant des pistes pour le diabète et la maladie d'Alzheimer en contact avec ses anciennes équipes.

   Denise avait un coeur immense et accueillait ses amis même à l'improviste avec une joie manifeste et la fantaisie joviale de recettes improvisées sur l'heure où elle mettait autant de créativité et de rigueur que dans ses travaux. Elle avait toujours dans ses réserves et dans sa cave de quoi régaler et étonner ses hôtes. Sa convivialité était hors pair et elle avait à coeur de transmettre les traditions d'accueil héritées de sa mère.

   Denise réussit le tour de force de ne jamais vivre comme une vielle dame et finalement ne le fut jamais. Elle montrait toujours la même vivacité et le même entrain, même sévèrement handicapée lors de ses chutes et fractures. Elle vivait dans un univers raffiné et harmonieux qui sentait bon la culture et le goût, entourée de ses livres, de beaux objets, et de la musique qu'elle adorait. La retrouver était toujours un plaisir vivifiant et une cure tonique d'enthousiasme, de bonne humeur et de bon sens.

   Denise nous manquera à tous.

Pr. Jean-Louis Jacquemin, La Rochelle, 15 Juillet 2013





Pour ses anciens élèves cette carte professionnelle de notre bonne vieille Fac
où ils la retrouveront pleinement et qu'elle m'a récemment donnée
en souvenir de cette époque.