Ce n’est qu’un «au revoir...»

 

par Christiane Mille-Brouillet

 

 

en 1961

 

ALGER ,  MAI  1962.

 

      Ce  quartier Michelet,  en ce début de mois,  était particulièrement mouvementé. Il y avait une agitation fébrile et malgré ce début de printemps très prometteur, on sentait autour de nous beaucoup de mouvements de foule. Les gens se dévisageaient, se reconnaissaient,  engageaient tout de suite la conversation .. On se racontait les dernières nouvelles, les visages étaient sombres et cela n’annonçait rien de bon …

      On sentait la tragédie  en arrivant au Lycée Delacroix. Les  visages s’allongeaient de plus en plus  et  toutes les jeunes filles de cet établissement se dépêchaient d’aller prendre place dans leurs classes respectives. Ce n’était pas la peine d’aller encore énerver «la Surgé» qui était en forte discussion avec nos  professeurs. Qu’allait–il encore nous arriver, nous les classes de 4ème et 3ème ?  On n’était jamais au courant, trop petites, sans doute !!! 

      Le couperet est tombé en milieu de matinée :  «Mesdemoiselles, veuillez prendre vos affaires et rentrer chez vous, le lycée est momentanément fermé jusqu'à nouvel  ordre …». Une catastrophe sérieuse nous tombait sur la tête et  je ne sais par quel élan, au même instant, on s’est retrouvées toutes les filles, grandes et petites dans la cour du lycée.  Tout à coup, prises d’une grande émotion, nous nous sommes attrapées par le cou, en cercle, toutes classes  mélangées et on se mit à chanter : «Ce n’est qu’un au revoir, mes sœurs, ce n’est qu’un au revoir …»   

      Nous étions en  larmes. Les doigts se serraient sur le cou de l’amie la plus proche, nous avions le même élan, l’émotion était au paroxysme.  Je crois qu’à ce moment précis on ne voulait  plus se quitter, prémonition sans doute. Si on sortait  du lycée, c’était la fin. On tenait bon... nos petits problèmes disparaissaient  tout à coup. Les petites jalousies étaient oubliées et dans la rue, en partant tout de même vers nos domiciles, nous sommes restées longtemps  accrochées les unes aux autres.

      J'éprouve depuis ce jour là une immense tristesse, lorsque parfois j’entends à nouveau cet «Au revoir». Je le garderai  longtemps dans mon cœur  d’adolescente…

 

Christiane Mille-Brouillet - mars 2003 

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