Place Hoche

La petite fille de la place Hoche

Par Danielle Ferra

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   Durant mon enfance, la Place Hoche était le centre de mon univers... Pour aller de chez moi au magasin de papa, ébéniste au 29 rue Clauzel, il me fallait passer par la Place Hoche...

   Je sortais de chez moi, j'habitais juste derrière l'église Saint Charles... et je prenais à gauche, puis tout droit, je traversais le boulevard Victor Hugo, bordé de magnifiques palmiers, avec sa grande pente où une bande de garçons dont mon frère Paul faisait partie, jouait à faire la course dans leurs "carrioles". C'est un miracle qu'il n'y ait pas eu plus de têtes ou de bras cassés, car la pente était raide !!

   Je continuais la rue Clauzel et je me trouvais devant le numéro 25, au rez-de-chaussée, là où habitait mon amie Jacqueline Sintès, ainsi qu'une certaine famille Belmondo, que je ne connaissais pas à l'époque, et dont le chef de famille fut un grand sculpteur, et le fils, l'acteur célèbre prénommé Jean-Paul.

   Je faisais un petit coucou à Jacqueline dont le papa tenait un café, et je me dirigeais vers la place Hoche, avec son magnifique palmier, peut-être est-ce à cause de celle-ci que j'ai toujours un faible pour les palmiers.

   Je rentrais dans cette place, comme on "rentre à la maison". Tout le monde se connaissait, et on connaissait tout le monde. À droite de la place se trouvait la boulangère, où j'aimais venir goûter les sablés à la confiture d'abricots, espèce de gâteau avec deux trous fourrés de confiture, et saupoudré de sucre glace. Et comme tous les enfants de l'époque, avec le doigt je mangeais d'abord la confiture, et ensuite le sablé, et je me retrouvais barbouillée de sucre autour de la bouche, comme les petits chats auprès d'un bol de crème...

   C'était là également qu'on venait choisir le "Gâteau des Rois", pas la galettes des rois, non, ça n'existait pas "chez nous", le Gâteau, avec ses morceaux d'amandes dessus, et où il y avait deux couronnes !! Eh oui, deux ! Une dorée et une argentée. Une pour le roi, la dorée, l'autre pour la reine. Celui qui piochait la fève choisissait son roi, ou sa reine, en lui mettant la couronne appropriée sur la tête...

   C'est là également que l'on dégustait les "oreilles du curé", genre de "palmito" de l'époque, mais "palmito géant". Sans parler des "toupies" remplies de cette délicieuse crème... et les figues en pâte d'amandes ! Eh oui, vous l'avez deviné, je suis gourmande...

   Je continue un peu plus loin sur la droite et je passe devant le bar "La Cascade", dont le patron était un ami de papa. Une cascade était installée au fond du café, d'où son nom, et je me souviens d'un bal du 14 juillet où les grands dansaient autour, à la place Hoche, sur des airs de l'époque, et où il y avait des lumières de toutes les couleurs accrochées en l'air, les gens étaient heureux et riaient... J'ai su par la suite que c'était le dernier bal donné, car ils furent annulés ensuite, à cause des attentats...

   Tout de suite après, je suis à la boutique de journaux de Madame Leblois, où j'achetais l'Echo d'Alger, et les cigarettes "Bastos" à bout filtre pour papa, "Intimité" et "Nous Deux" pour maman, et où mon frère achetait les "Battler Britton" (aviateur, pilote de guerre), et "X13" agent secret... Je ne sais plus si c'est dans les "Akim" ou les "Kiwi" que se trouvaient les "Blek le Roc" sorte de Trappeur à la Davy Crocket accompagné de deux acolytes, "Double Rhum" et "Docteur Saignée", qui comme leur noms l'indiquent étaient respectivement amateur d'alcool pour le premier et médecin (un peu charlatan sur les bords) pour le second. Ensuite venait le "Prince Malko", sorte d'aventurier d'une cité futuriste et son pistolet laser, qui me subjuguait et me faisait rêver à quelque mystérieuse citée perdue... (1)




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Photo de mon père avec Paul, mon grand-frère, place Hoche, devant le magasin SNR. Dans le reflet de la vitrine, le rond-point au palmier, et la silhouette de la photographe.

   Quittant la marchande de journaux, je traverse la rue Hoche, et bizarrement, je ne me souviens pas de ce qu'il y avait de ce côté-là de la Place. Il me semble qu'il y avait surtout des immeubles résidentiels mais pas de commerce (dont un immeuble où nous avons vécu trois à quatre mois avant notre départ d'Alger).

   Je continue mon chemin, traverse la rue et me trouve devant un magasin de plomberie robinetterie, situé au coin de la rue Clauzel (côté magasin de papa) et de la Place Hoche. Puis un peu plus loin, un photographe qui s'appelait Félicien Lannes, il avait 2 chiens de chasse avec lesquels je jouais tout le temps. À part mon frère et moi, seul André Layani s'en souvient, et il me renvoie l'image qu'il a de moi en ce temps-là, de "la petite fille aux petits chiens", qui est aussi le titre d'un de mes poèmes sur Alger...

   Plus loin se tenait un bar qui faisait l'angle de la Place Hoche et de la rue où se trouvaient le lycée Gautier et Radio Alger, il y avait un flipper avec lequel il m'arrivait de jouer lorsque ce café a été repris par papa peu de temps avant notre départ, pour rendre service à son propriétaire qui était déjà parti, afin qu'il ne soit pas réquisitionné.

   En face de ce café, on traverse la rue et on se retrouve chez "Tcheb Tcheb", une sorte de petit bar avec plusieurs "baby foot" où les jeunes garçons (dont mon frère) attendaient leur tour en faisant la queue. À côté de chez "Tcheb Tcheb", il y avait une petite papeterie qui vendait des cahiers et des buvards et un autre magasin dont je me souviens plus...

   Voici la Place Hoche telle que je la voyais de mes yeux de petite fille de l'époque. Ce n'est pas sans émotion que je vous livre les souvenirs de mon coeur, et je dois vous faire une confidence... Plus de quarante ans après, la Place Hoche est pour moi "La plus belle place du Monde".


Danielle FERRA, 1er décembre 2003










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Photo de l'église St Charles trouvée par mon frère : derrière c'est notre immeuble (flêche), mais c'est le 21 ter... Un tout petit peu à droite, et on voyait notre entrée du 21 bis !






(1) Malko le Petit Duc... Apparu pour la première fois en France dans le n° 1 du mensuel Kiwi daté de septembre 1955, le Petit Duc s'est terminé dans le n° 69 de janvier 1961. Cette bande dessinée est due à un dessinateur italien génial, au talent extraordinaire : DEVI, pseudonyme d'Antonio De Vita. Fascinante, insolite, c'est de loin la série la plus mythique des "petits formats". Tous les lecteurs du "Petit Duc" ont été profondément marqués par cet univers étrange et crépusculaire, sans nul équivalent dans l'histoire de la bande dessinée. Si vous voulez retrouver le Petit Duc, rendez vous sur le site que lui a amoureusement consacré Jean-Yves Guerre (http://perso.wanadoo.fr/guerre/mirko.htm). Il a aussi célébré Devi en un très beau livre-hommage : "Le Mystère Devi... Dévoilé". (21 euros+port, commande au 02 32 34 01 11).