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GÉRALD À ALGER, JEUDI 21 SEPTEMBRE 2006

LE CAMEO, FUTUR VENDÔME,
ET LE KIOSQUE DE M. DARMON.

(CHTITHA BALLADE)

"On ne reconnait pas tout du premier coup, comme il arrive avec les amis de ce temps.
Nous sommes tous de vieilles maisons qui se délabrent."


JEAN BRUA, 06 octobre 2006.


    Je remonte jusqu'au carrefour de l'Agha. J'ai le coeur qui bat plus fort, me revient cette drôle d'exaltation qui fait venir le sourire aux lèvres et les larmes aux yeux, en même temps… Je commande un café, histoire de laisser reposer un peu mes pieds qui n'en peuvent mais, au grand café qui fait l'angle, ou plutôt qui épouse l'arrondi Baudin-rampe Chassériau. Et puis je me décide. Je vais jusqu'au 22… Je gravis l'escalier jusqu'au premier étage… Je sonne à la porte de gauche… Chez ma grand-mère… Ici étaient mes jeudis, mes dimanches… Aujourd'hui ce sont les bureaux d'une société d'import-export ou quelque chose comme ça… Pas de réponse… La voisine d'en-face m'explique qu'on est veille de vendredi, et que c'est le week-end… C'est vrai, j'avais oublié.

    Je fais des photos de tout, de la rampe d'escalier, des mosaïques sur les murs du hall, des carrelages au sol, je suis comme un voleur de vie, d'une vie ancienne, d'une vie éteinte, qui n'a plus les apparences de la vie, mais elle n'est pas morte, vous savez, ce sont comme des braises, et je suis comme un voleur de feu, ma mémoire va souffler dessus, et elles vont se remettre à respirer, doucement, et puis à chanter, elles vont se mettre à exister encore, dans les yeux embués d'un petit garçon de 10 ans…

    Je retrouve avec soulagement la lumière du boulevard. Pas pour longtemps… Je pousse jusqu'au 18, où se trouve la galerie du cinéma Cameo, puis s'appela ensuite "Vendôme à partir de 1957; et qui sur cette photo de 1984 ci-dessous portait encore, en arabe, son ultime nom de "Djurdjura". Et je replonge…

    Je la photographie de fond en comble... Sur les murs, j'ai retrouvé une partie des cargaisons du Turiddu, de ce marbre de Vérone "beau comme une coulée de lave", ramené d'Italie par Monsieur Tilli (relisez les kémias 13).

    Un de ces 4, je consacrerai au Cameo un écran exprès. Avec plein de photos… Pensez, c'est ici que j'ai vu "La Guerre des Mondes", "La chose d'un autre Monde", "Normandie-Niemen", "Quand passent les Cigognes", et plein de ces films qui enchantaient nos enfances… Et les films avec Elvis Presley ! Je me rappelle dans la première vitrine à gauche en entrant (oui, celle-là, justement), l'affichette et les photos de "Amour frénétique" (en anglais, le tant aimé "Loving You"), c'était en janvier 1958, et aussi, une autre fois, "Bagarre à King Creole" ! Mais jamais ma mère elle m'aurait donné un sou pour aller voir un zazou en chaleur ("frénétique, l'amour, c'est lui qui le dit, tu 'ois ?") comme ça gigoter des hanches ! "Et quand il nous fait pas la danse du ventre, il nous la fait façon lascif ! Et me dis pas que tch'iaimes ça, hein, ou tu vas voir la calbote !".

    Oui, mais c'est aussi ici que ma midinette de mère, quand elle était encore bien jeune, quand elle habitait encore au 22, chez notre grand-mère, quand elle voulait noyer son chagrin pour oublier l'éloignement de mon père, c'est ici qu'elle venait se réfugier, pour se laisser distraire et transporter par des films merveilleux dont elle ne se lassait pas.

    Envoyez moi vos souvenirs, que je les rajoute aux miens !

    Aujourd'hui, le groupe de mes compagnons de voyage visite les ruines de Tipasa… Mais moi, ici, dans cette galerie, devant ces marbres ruinés et ces vestiges qui s'estompent avant leur ultime disparition, j'ai l'impression de visiter un site archéologique bien davantage que mes camarades en ce moment. Une cité engloutie, que ne voient pas ses actuels habitants, une Pompei dont curieusement chaque trace me dit que j'avais été d'ici un jour… Impression curieuse, entre un présent ma foi assez vivant et somme toute joyeux, malgré une désolation urbaine qui ne me touche en fait que peu, et ce passé où je ne cesse de m'immerger.


Ceci est la galerie du Cameo photographiée depuis son extrémité.
Au bout, le rectangle de lumière, c'est le boulevard Baudin.
À gauche, s'ouvrent trois entrées d'immeubles, et l'entrée du cinéma, depuis longtemps fermé.
À droite, dans le mur, revêtu de marbre de Vérone, étaient encastrées des vitrines (elles sont toujours là, vides).
C'est leur éclairage intérieur qui assurait l'essentiel de la lumière de la galerie.
Les vitrines sont toujours serties de leur encadrement de laiton, qui luit dans la semi pénombre.
Ici régnait une curieuse lumière d'aquarium qui oscillait entre le cossu et le glauque.
Les deux premières vitrines en entrant présentaient les photos des films.
Dans une autre, Alex Slonimski, fournisseur de choses philatélique installé ici, au 18 (tél. 334 85),
proposait des planches de timbres, des albums, des loupes…
Et aussi des enveloppes "premier jour" qu'il éditait lui-même
(longtemps j'avais cru que cette vitrine servait de réclame à l'autre boutique philatélique du quartier, celui chez lequel je m'approvisionnais, non de loin d'ici, Mr Schwartz, rue Charras).

Je ne me rappelle pas ce qu'il y avait dans les autres vitrines.
Aujourd'hui une seule renferme encore quelque chose, la réclame pour une auto-école domiciliée dans le passage.
Ci-dessous, le nom du cinéma et les numéros des entrées s'ouvrant dans la galerie,
en belles mosaïques, un peu bouffées par la guérite du serrurier, plus large me semble t-il, que celle de M. Darmon, qui a été bâtie dessus.




C'est seulement depuis cette année 2021, quand j'ai appris grâce à son petit-fils Marc
le nom de celui qui tenait le kiosque à l'entrée de la galerie,
que j'ai extrait le texte et les photos ci-dessus de mon compte-rendu de ma visite de 2006 à Alger. Il s'appelait David Darmon.

Ma mère, lors de son époque cinéphage, n'aura pas connu M. Darmon, mais moi, un peu plus tard, si.
J'avais 10 ans et quand avec mon petit frère nous allions au square Guynemer, nous trouvions ici tout ce qui était utile pour finir de faire de ces après-midi des moments magiques : de menus jouets, des "bonbecs fabuleux", et tous nos illustrés.

Comment ne pas vouer à David Darmon une éternelle reconnaissance
pour nous avoir comblés en "Meteor", "Kiwi", "Pipo et Concombre", "Blek le Roc" (et l'envoûtant "Petit Duc" qui l'accompagnait dans le même "petit format"), "Bibi Fricotin", "Les Pieds Nickelés", "Pim Pam Poum", "Pepito", "Charlot", "Buck Jones", "Kit Carson", "Battler Britton", "Rapaces", "Vigor", "Atome Kid", "Sidéral", "Spoutnik", "Cosmos", et tellement d'autres !
Oui, merci Mr Darmon !

On vous a donné dans nos Myosotis le titre de "Magicien de nos enfances",
et vous l'avez amplement mérité !


Cliquer pour agrandir.

Le kiosque de David Darmon en 2006.