par Jean Brua

 

Deux anecdotes de l’Algérie d’hier et d’avant-hier

sur le roi maudit des guitounes et des balcons

 

Roi des basses-cours par vocation, le coq le fut aussi des vieilles guitounes de l’Armée d’Afrique et des balcons de nos villes. Avec, dans tous les cas, la fatalité  plus ou moins proche de la casserole ou du pot.

Mais son chant de salut à l’aube (C‘est la nuit, qu’il est beau de croire à la lumière !) si apprécié des poules, poussins et autres volatiles dans les cours de ferme, lui attira généralement, outre des projectiles divers, les pires vexations et persécutions de la part d’humains jaloux de leur sommeil.

Si l’écriture leur eût été donnée, combien de Chantecler auraient pu nous dire la malice et l’obstination cruelles mises par les hommes et les autorités à leur couper le sifflet à tous les sens du terme !

Passe encore de rôtir, mais subir la cabale !

Heureusement, des témoignages écrits demeurent de leur martyre artistique, que nous vous livrons ci-dessous. Le premier a été repêché par notre ami Georges Lévy, grand fouineur du passé, dans un ouvrage de 1868 (L’intermédiaire des chercheurs et curieux) et raconte le cruel dressage infligé par les soldats à leur "coq de guitoune" pour l’empêcher de devancer la sonnerie de clairon réglementaire du réveil.

Le second est un commentaire rimé d’Edmond Brua dans l’hebdo satirique Le Canard Sauvage du 16 décembre 1945 à propos d’un arrêté du préfet d’Alger visant les "cocoricos de balcon" de Bab el Oued, Belcourt et autres lieux, et de la gigantesque mise au pot déclenchée par la menace des contraventions. En somme, la "Parodie du Coquocide"…

Mais, pour respecter la chronologie, commençons par l’extrait de L’Intermédiaire des chercheurs et curieux de 1868 :

 

La triste condition des coqs de guitoune méritait bien, 138 ans après, l’illustration que L’Intermédiaire n’avait pu lui consacrer.

Avant de passer au second témoignage, il convient de rappeler ce qu’était Le Canard Sauvage, duquel est extrait le texte d’Edmond Brua.

Cet hebdo satirique, paru de 1943 à 1945, n’était pas un plagiat du célèbre Canard Enchaîné, mais en quelque sorte sa version "France combattante", de même qu’Alger était la capitale de ceux qui préparaient la libération du pays. Plusieurs collaborateurs de ce "double" fidèle à l’esprit du modèle étaient d’ailleurs des humoristes parisiens repliés chez nous comme tant d’autres écrivains ou artistes, tels Pierre Dac, Pierre-Jean Vaillard et les dessinateurs du Canard proprement dit, Grove, Henri Monnier, Soro et Pol Ferjac. Edmond Brua et notre talentueux et prolifique illustrateur Gaston Ry (pseudonyme de Rostagny) avaient tout naturellement rejoint la joyeuse petite bande de frères.

En attendant l’écran Spécial-Canard Sauvage en gestation , voici toujours le fac-simile de "La mort des coqs" d’Edmond Brua et, encore une fois, l’illlustration a posteriori de ce texte.

Jean BRUA

 

N.B. À l’intention des Esmmaïens de dernière génération, qui ne sont pas tous des "lettrés" en pataouète, voici un mini-glossaire des mots et expressions qui pourraient paraître hermétiques aujourd’hui :

L’atchidente ! = Malheur ! Michquinette ! = Pauvre de moi ! Badjoc = fou.

Ne cherchez pas Hécate dans un dictionnaire de pataouète. Cette déesse de la Mythologie, petite-fille du Titan Coios, était réputée avoir sur la Terre, la mer, le ciel et les êtres vivants des pouvoirs magiques (incluant sans doute celui d’empêcher les coqs de chanter).