LYCÉE DELACROIX


Au fond de mon coeur...

11 profs et une dirlo


Par Berthilde (Betty) Reybaud.
ici en classe de 3ème 1953/54.
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   C'est par hasard, en naviguant sur Internet que j'ai rencontré Es'mma. Un coup de poing dans l'estomac : une photo de ma classe de 3ème, l'année 54/55, dans "mon" Lycée Delacroix ! Mon sang n'a fait qu'un tour ! Même si cette expression est un lieu commun, elle rend exactement le sens physique de mon émotion... Et alors les souvenirs que j'avais endigués et bien enfouis dans un recoin au fond de ma mémoire pour ne plus souffrir (à quoi servent les souvenirs si on ne peut plus les partager ?) ont resurgi tous ensemble, comme d'un vase de Pandore, en se bousculant et pendant un instant je ne savais plus ou j'étais, j'ai dû respirer longuement pour que mon coeur reprenne son rythme normal. Je leur ai donné finalement libre cours, et cette fois avec un peu d'ordre, j'ai reconnu mes copines de lycée, une à une, même si je ne me rappelle plus tous les noms, et j'ai revu tous mes profs, en vrac, depuis la sixième jusqu'en 1958, en philo.

    Melle Corcelet, qui était notre prof de maths, se propulsait à l'époque perchée sur des talons aiguille de 8 cm au moins, au sommet desquels sa maigre silhouette bilieuse s'agitait devant le tableau noir. Elle s'occupait d'oeuvres de charité et nous lisait en classe, en y mettant toute sa gestualité, les lettres de remerciements que nous envoyaient ses petits protégés, car elle nous faisait participer, par des dons prélevés sur notre argent de poche, à ses généreuses activités de soutien aux déshérités. Elle s'empressait de finir ses cours pour repartir sur sa vieille bécane visiter les quartiers pauvres de la ville. Je ne lui ai jamais vu porter de vêtements d'hiver et ses sandales à talons hauts ne devaient pas lui tenir les pieds au chaud.

   Je me souviens de Melle Laporte, prof de français en classe de troisième, qui restait toujours vissée à la chaise derrière la chaire, au sommet de l'estrade (chez moi d'ailleurs quand je repassais les cours, je ne l'imaginais que dans cette position) elle nous parlait de Molière et de Racine en martyrisant les revers de ses manches qu'elle tirait en continuation dans un geste qui voulait cacher son embarras d'être au centre de l'attention, elle si réservée. C'est à elle que je dois mon goût pour la littérature et l'attribution du prix d'excellence que j'avais décroché pour me venger d'avoir été recalée au Brevet la première fois ("Je vais leur faire voir ce que je vaux, na !" ). Je conserve toujours comme une relique l'objet qu'on m'avait offert : un énorme livre rouge contenant le roman de Charlotte Brontë, "Jane Eyre".

    Melle Rosenbloom, prof de latin aux réflexions cinglantes et pertinentes, dont nous avions toutes une peur bleue, m'avait une fois apostrophée en me rappelant qu'au Moyen-âge, aux filles qui portaient mon nom (Clothilde, Mathilde, Brunehilde, Grimilde et autres Hildes) on ne faisait pas de cadeaux ! (tirées par les cheveux, attachées à la queue des chevaux ! Ou autres gracieusetés de ce genre) tout ça parce qu'il paraît que j'étais un peu (!) bavarde !

   C'est surtout les profs des dernières années qui sont le plus présentes à ma mémoire, comme par exemple Melle Jundt, prof de philo au long visage maigre surmonté de quelques cheveux épars et à l'air hautain et absent, ce qui n'était qu'une manière de masquer sa timidité.

   Quant à Melle Perrier, prof d'italien, dont j'adorais la matière (qui m'a été bien utile ensuite pour vivre en Italie), elle se maria vers 1957 je crois pour devenir Mme Leclerc. En 1961/62 (année fatale), comme jeune étudiante qui préparait un DES à la fac, j'avais eu l'occasion de la remplacer au lycée pendant une de ses absences. J'étais toute fière de jouer au prof dans mon ancien lycée.

   Et puis la prof d'anglais, Mme De Laplante, qui posait ses questions de "compréhension" sur un texte de Evelyn Waugh "Scoop" dans un silence glacé que seulement les voix tremblotantes et inconscientes de mon amie Colette et la mienne osaient rompre.

   Je revois encore un autre prof d'anglais, Melle Gautray, qui n'était plus toute jeune, puisque mon père avait été son élève et dont nous suivions, en classe de 6ème peut-être, le haut chignon rouge de henné dans les cinémas de la ville où elle nous entraînait pour voir les films tirés des oeuvres de Steinbeck ou Faulkner (avec James Dean, tiens!). Elle nous avait aussi préparées à la vision d'un film avec Laurence Oliver dans le rôle de Hamlet et après avoir vu le film, elle nous avait lu des passages de la tragédie de Shakespeare en anglais et elle nous les traduisait au fur et à mesure en nous regardant de dessous ses lunettes pour voir si nous comprenions. Elle avait l'habitude de commencer ses cours en envoyant l'une de nous écrire la date au tableau, suivie du programme du jour pour l'heure de cours et de la liste des devoirs à faire à la maison, tout ça en anglais !! Of course !

   Et encore Melle Gavary, prof d'histoire, qui arrivait toujours les bras chargés de livres pour documenter ses cours, avec son dandinement prononcé que cruellement nous imitions dans les vestiaires.

   D'autres visages encore remontent en vrac de quarante ans de silence : Mme Denis prof de dessin dont le mari était mon médecin... Elle m'avait conseillé de faire une école de peinture car à son avis j'avais du talent. J'adorais en effet l'heure de dessin au 2ème étage, l'odeur des gouaches et le bruissement du fusain ou de la sanguine sur le papier Canson, c'était un moment où la créativité avait libre cours ; la sérénité de notre prof, le décor d'atelier bohémien qu'avait cette salle avec ses bustes romains en plâtre, ses cruches et ses vases, ses trétaux où nous accrochions nos feuilles, tout contribuait à faire de cette heure un moment précieux et magique pendant la matinée.

   Mme Maurel, ses gospels et son "j'ai perdu mon Euridiiiice, rien n'égaleeeu ma douleureueu oooh sort crueleu, queelleu douleureu !!". C'est avec elle que nous avons commencé à utiliser les Bics que les autres profs ne voulaient pas, parce que "ce n'est pas propre, ça tache"; en effet, les premiers stylos à bille salissaient les doigts et on allait dans les toilettes enlever tout ça avec la pierre ponce.

   Je revois Mme Gaillard, premier prof de latin en 6ème, illustrer avec la précision de ses "petits a" et ses "petits b" au tableau la complexité de toutes les règles de grammaire que nous devions apprendre à la perfection. Elle agitait nerveusement ses bracelets qui faisaient un drôle de bruit de vaisselle car elle portait ce que nous appelions alors une semaine (7 bracelets ensemble). Je me rappelle aussi les 25 à 30 vers de Virgile ou d'autres poètes latins à apprendre chaque semaine par coeur. Nous les repassions avec angoisse dans les vestiaires ou bien pendant l'heure de gymnastique, avec une dispense pour cause de règles! On évitait du même coup de monter à la corde, ah ! LA CORDE ! En réalité cette torture (pas la corde, l'autre, la récitation par coeur) nous faisait beaucoup de bien et a contribué à nous conserver le peu de mémoire qui nous reste.

   Un autre personnage apparaît à l'horizon, c'est dans la salle de sciences naturelles que nous la trouvions au milieu de ses alambics, de ses outils de précision avec sa blouse blanche de chercheur et sa silhouette élégante et raffinée de belle brune, je ne me souviens pas très bien de son nom Mme Meté (Mettay ?). Ce dont je me souviens, ce sont les expériences avec la grenouille que je ne vous raconterai pas (censure des écolos). Mais grâce à elle j'ai bien compris Pavlov, les réflexes conditionnés, les lois de Mendel... etc. etc.

   Et puis nous avions aussi les "heures d'étude" et les "heures de colle" durant lesquelles nous étions surveillées par des pions ou par des profs débutants, étant jeunes en général ils fermaient un oeil, ou même les deux, et nous avions le temps de bavarder et de faire nos devoirs collectivement et même quelquefois de leur demander de l'aide, surtout aux pions qui étaient à peine plus âgés que nous. À l'entrée et à la sortie du lycée, Mme la directrice et Mme le censeur nous accueillaient et empêchaient que nous ne déboulions dans les larges escaliers qui desservaient le portail d'entrée.

   La dirlo, Mme Berrier, recevait beaucoup dans son bureau et y être appelée ne pouvait avoir que deux raisons : ou très bonne ou très mauvaise, mais de toutes façons les palpitations étaient assurées. Mme Berrier a été assez vite remplacée vers 1956 par une autre directrice dont je ne me souviens pas très bien, peut être qu'en grandissant je perdais beaucoup de mes peurs d'enfant, et la période que nous vivions nous avait habituées à d'autres préoccupations bien plus sérieuses...

   Toutes ces femmes, si différentes entre elles, m'ont enseigné non seulement leurs savoirs mais aussi le sens du devoir et de la discipline, le goût du travail bien fait, la rigueur et le respect envers les autres. Elles ont eu un rôle important dans ma formation d'adolescente, elles ont aussi marqué mon parcours d'adulte en restant au fond de ma mémoire pendant plus de 40 ans. Et elles auront encore leur place, tant que je vivrai, au fond de mon coeur.



Berthilde (Betty) Reybaud
Février 2005

Écran en évolution, à enrichir de photos de nos profs citées, au fur et à mesure qu'on en retrouvera (vous pouvez aussi envoyer d'autres documents si vous en trouvez !)



LE livre de mon Prix d'excellence...






Mademoiselle Rosenbloom,
prof de latin.







Madame Mettay, à laquelle furent sacrifiées tant de grenouilles
pour la plus grande gloire des Sciences Naturelles !






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Mon bulletin daté du 5 juin 1958, avec anotations et signatures de la main de quelques unes de nos profs...