Comme si vous y étiez !
"Lettre de la Baie d'Alger"
De notre envoyé spécial Jean-Louis Jacquemin
à la présentation du téléfilm de Merzak Allouache.
D'après le livre éponyme de Louis Gardel
Le 13 janvier, par un soleil algérois, j'ai eu le plaisir d'assister, à Argelès-sur-Mer, à la présentation privée du téléfilm "La baie d'Alger" réalisé par Merzak Allouache, sur un scénario de Merzak Allouache, avec la collaboration de Louis Gardel (d'après son roman aux Éditions du Seuil). C'est une oeuvre de commande de France Télévision, donc soumise à des impératifs de chaîne (1). Allons à l'essentiel : le film est beau, sensible et réveillera des souvenirs émus dans chacun d'entre nous. Comme d'ailleurs des souvenirs poignants.
L'ACTION
Le récit se veut intimiste. Il raconte, à la première personne, une tranche décisive de la jeunesse familiale et sentimentale de Louis Gardel dans le cabanon de sa grand-mère Zoé à Surcouf sur fond des événements tragiques ayant marqué cette année 1955-56. Le film n'a pu être tourné sur place, ce qui a demandé quelques acrobaties mais la transposition est, pour l'essentiel, réussie. La présence de la Méditerranée ensoleillée est obsessionnelle. Les jeunes acteurs se sont pris au jeu de notre réincarnation et le rendu de l'émotion sentimentale et sensuelle (au sens large) qui présida à nos 15/18 ans, est étonnant de vérité. Cerise sur le gâteau ce film a été tourné en Roussillon, et, pour les scènes maritimes, dans mon cher Racou rebaptisé Surcouf.
LE TOURNAGE (voir "Claps de Baie"... pour les clins d'oeil de Jibé ! Et n'oubliez pas aussi l'écran encore après !)
Le 6 Pas de la Patacade, s'est souvent trouvé au coeur de l'action !
Le tournage s'est déroulé dans une atmosphère bon-enfant où les familiers de la plage se sont totalement mêlés à une équipe très ouverte. J'ai pu approcher certaines scènes grâce à une sympathie réciproque avec Merzak dont l'humanisme nuancé et la conscience professionnelle m'ont attiré. J'y ai appris sur le Cinéma des choses que le spectateur n'entrevoit pas. À la fois sur le fond et au plan technique. Un film de fiction ne cherche pas tant le détail historique que de restituer au public auquel il est destiné le climat et l'atmosphère capables d'être reçus par lui de l'époque et du sujet qu'il traite. Merzak n'a pas cherché à faire un document polémique et s'en défend (2). Il s'est efforcé de rendre le climat émotionnel du livre dont les rapports entre personnages sont très finement approchés et de transcrire la sensibilité personnelle de l'auteur. Pour autant le décor a été soigné visuellement et son coup d'oeil scénographique réussit à nous transporter sur place. Cela m'a permis de voir ce que décorateurs et accessoiristes sont capables de faire naître dans un décor qu'on croyait connaître et d'assister à l'invisible passage du "champ" au "hors champ", frontière fascinante de mondes gigognes et parallèles qui restent étrangers l'un à l'autre.
UN TRAITEMENT NON POLÉMIQUE QUI N'ÉVITE PAS LA SIMPLIFICATION
Né en 1944 à Alger, Merzak a vécu comme nous la période décrite et son amour du Pays est identique au nôtre. Son intégrité se manifeste dans le traitement attendri des liens intercommunautaires tissés individuellement comme dans le constat malheureux du fossé infranchissable qui persistait entre les communautés elles-mêmes. Cette partie intimiste du film réveille des souvenirs heureux et la nostalgie de liens qui furent bien plus affectifs qu'on ne le croit aujourd'hui.
Cette honnêteté de fond ne satisfera pas les dernières crispations des deux camps. Sur place, le film rappelle certains aspects sympathiques aujourd'hui niés et occultés de notre présence là-bas et l'image finale débouche sur le terrible constat du double exil. De notre côté, on butera sur quelques simplifications inévitables comme sur deux "clichés" attendus mais regrettables : la Rolls du "Président" Steiger [L'historique 403 eût suffi... (3)] et son "château" Rococo, dont on ne rencontrait pas l'équivalent en Mitidja. On note à décharge que la popularité légendaire du modèle (4) parmi les musulmans de cette Mitidja est évoquée et ses bienfaits sociaux reconnus. Comme est notée, côté militaire, la démarche de l'encadrement supérieur vers les populations (qui déboucha dans les années suivantes sur les SAS, les SAU, l'embellie de 1958 et le drame à venir des Harkis). C'est d'ailleurs une limite du film que d'être figé entre deux instantanés, le début et la fin, de ce drame complexe, aux multiples facettes et péripéties pendant 8 années, mais encore une fois, la trame historique n'était pas le sujet principal. La dernière image est poignante. Elle résume un drame qui n'a finalement fait que des victimes.
UN PARFUM DE JEUNESSE
J'ai tenu à revoir le film, le soir même, lors de sa présentation publique au Festival d'Argelès (5) ce qui m'a permis de le savourer sans autre pensée et je confirme qu'il est beau, émouvant, et qu'on y retrouve le parfum "camusien" qui fit le bonheur juvénile de nos étés. On retrouve aussi avec émotion cette complicité affective dans les rapports de camaraderie ou d'amitié profonde (avec le pêcheur dans le film) dont la plupart d'entre nous gardent au coeur des regrets aussi forts que leur amour du Pays. Et bien sûr en toile de fond la mer, la Mer, et le soleil magnifiant les corps de nos déesses dont l'obsédante beauté nous fouettait le sang ! La Méditerranée est universelle.
SURCOUF-LE RACOU : LE PARADIS RETROUVÉ :
Le Racou se plie malicieusement à habiller de neuf ces souvenirs de jeunesse et on s'y laisse prendre. Vous n'aurez plus besoin après le film de chercher pourquoi, depuis le retour, je m'y sens chez-moi. Pour honorer le titre, Merzak nous fait un dernier cadeau somptueux et je vous jure qu'il a gardé tout son impact : la baie d'Alger filmée la nuit venue, des hauteurs de la ville... Émotion toujours aussi prenante, toujours aussi violente... En une seconde reviennent en mémoire le capiteux parfum de Sultane et la respiration tiède, retenant son souffle, de la Belle Endormie étalée voluptueusement à l'infini, dans sa traîne sertie de joyaux multicolores. Baie d'Alger, qui pourrait, un jour, t'oublier ? (6)
En attendant, le soleil qui se lève, maintenant, au Racou, a pour moi le parfum du pays retrouvé.
Jean-Louis Jacquemin.
Janvier 2012
(1) Par rapport au tournage, certaines scènes ont disparu. Merzak a regretté que son premier montage, plus proche du texte de l'auteur, ait dû être raccourci pour privilégier le rythme, l'intrigue et le créneau horaire. Le résultat reste très beau.
(2) Pendant la discussion ayant suivi la projection en présence de Louis Gardel.
(3) Cette promotion flatteuse est révélatrice des idées reçues : je ne pense pas qu'une seule Rolls n'ait jamais été immatriculée à Alger (et encore moins en Mitidja).
(4) Amédée Froger, haute figure de l'Algérie Française, assassiné par le F.L.N. dans sa Peugeot 403.
(5) Festival des films des Pays du Maghreb.
(6) La diffusion publique est prévue sur France 2 "d'ici à l'été 2012".
NB 1 : Les photos du tournage et du Racou sont de Florence Fougeras.
NB 2 : Je vous fournis le lien vers l'écho de la soirée à laquelle j'ai participé où une vidéo de présentation est disponible : ICI.