Dans le cadre de notre grande enquête "ALGER LA JAUNE"


Le Mariage du Prince d'Annam

De notre envoyé sur place Gérald Dupeyrot,
avec le précieux concours de François Ferrer-Laloë.



Archevêché, novembre 1904

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   Nous sommes en novembre 1904, devant la cathédrale Saint-Philippe, besogneuse transformation en pas grand-chose d'une mosquée qui fut de belle facture. Mais c'est quand même "la cathédrale", haut lieu en ce temps-là des mariages et funérailles de grand tralala. Pourtant, ce n'est pas à la cathédrale qu'a lieu la bénédiction nuptiale à laquelle nous vous convions (d'ailleurs les badauds ont investi ses marches comme les gradins d'une tribune géante), mais plus intimement à l'archevêché juste en face, anciennement la délicieuse maison de Madame Aziza. C'est qu'aujourd'hui c'est le mariage d'un quasi prisonnier politique qui se célèbre, celui du "Prince d'Annam", ainsi que la presse et le bon public le nomment, depuis 1889 qu'il est en exil dans notre ville... Une figure fascinante, mystérieuse, romantique... Il a 34 ans, et épouse une demoiselle de 19 ans, fille du procureur général Laloë, le gratin de l'establishment algérois. Tout a commencé il y a 20 ans...



Le Génie (bleu) de la lampe de bureau nous raconte :


   Oui, tout a commencé il y a 20 ans... C'était le 2 août 1884, le jeune Ham Nghi (1) a 13 ans, il monte sur le trône d'Annam (2). C'est bien jeune ? Oui, c'est même pour ça qu'il a été appelé à cette fonction à l'instigation des deux régents, Tuong et Tuyêt, tous deux fieffées crapules, mais gardant leurs distances vis à vis des autorités françaises qui à l'époque étendent leur influence sur l'Indochine (je simplifie). Il a été préféré à son frère Chan Mong, dont les 21 ans le rendent suspect de possible mauvais esprit. Déjouant les pronostics, c'est le gamin de 13 ans va donner bien du fil à retordre...

   Lors du guet-apens manqué de Hué, la nuit du 4 au 5 juillet 1885 (3), Ham Nghi prend la fuite avec le régent Tuyêt et se réfugie avec des mandarins (dont le père d'Hô Chi Minh) à Cam-lo où des approvisionnements avaient été préparés et d'où est dirigée l'insurrection contre le protectorat (mouvement Can Vuong). Ham Nghi est déchu du trône par la France et remplacé par son frère Chan Mong (qui prend alors le nom de Dong Khanh). (4)

Traqué par le capitaine Boulangié (de l'escouade des chasseurs annamites, chef de poste de Tha-nac), et après trois années d'errance dans les provinces de Nghê-tinh et du Thanh-hóa, Ham Nghi est trahi et livré par les Muong, une tribu montagnarde qui lui était restée fidèle. C'est en décembre 1887, à Ta-bao, petit village du Haut Giai.

   Sa capture allait porter un coup fatal au mouvement de révolte.

   Le 16 novembre 1888, le gouvernement francais décide que Ham Nghi sera interné en Algérie, où une pension de 25.000 francs par an, payée par le gouvernement annamite, lui sera allouée. Il est escorté le 21 novembre jusqu'à Thuan An, où la canonnière "la Cométe" l'attend pour le conduire à Saïgon. Le 12 décembre, il est embarqué avec un interprète, un cuisinier et un domestique pour Alger. Il y arrive le 13 janvier 1889. Bien traité par le gouverneur général, avec les égards dus à son rang, il devient connu sous le nom de "Prince d'Annam".

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   Voilà comment les destins de ces deux-là ont pu se croiser, et pourquoi en ce jour de novembre 1904 nous assistons en Alger à leur mariage. Le Prince ne reverra jamais son pays. Il va avoir 3 enfants (deux filles et un garçon), il refusera qu'ils apprennent l'annamite. Ses loisirs, il les occupera à sculpter et à peindre. Parfois il se rendra en France. Toujours, il va garder un mutisme total sur sa destinée.

   Après 1906, il va habiter à El Biar la villa "Gia Long" (5), située en haut du chemin Vidal. Il y mourra le 14 janvier 1944, âgé de 73 ans, après 55 ans d'exil, et sera inhumé au cimetière d'El Biar. Ses restes seront ramenés en 1965 en France. Ils reposent à Sarlat, dans le Périgord. Ses trois enfants portent le nom "d'Annam" : Nhu-May, Nhu-Ly et Minh-Duc, nés respectivement en 1905, 1908 et 1910. Seule Nhu-Ly, l'une des deux filles, eut des enfants et petits enfants. C'est à l'un d'eux que nous devons cet écran sur Es'mma, qu'il en soit remercié du fond du coeur.

   Le prince d'Annam aura été le symbole de la résistance aux Français. Il fait partie des rares personnages historiques encore reconnus - et honorés - par le Vietnam communiste d'aujourd'hui. À Alger, le chemin "du Prince d'Annam" (où a pris place depuis 1962 le consulat d'URSS puis de Russie) continue de rappeler en ces jardins enchantées d'El Biar l'exil de ce Prince tellement romantique.


D'après un texte rédigé en juin 2003 pour la famille Laloë, et d'après le livre "Français et Annamites, partenaires ou ennemis, 1856-1902", Philippe Devillers, éditeur Denoël.


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   Dommage que, pour des raisons de définition, on ne puisse zoomer et se promener dans la foule des badauds massés sur les marches de la Cathédrale, et attendant la sortie du couple princier juste en face (la grille devant nous est celle devant l'archevêché). C'est fascinant de diversité ! On vous en a quand même extrait deux zouaves du service d'ordre, en pantalons blancs bouffants et guêtres, la chéchia crânement rejetée en arrière, celui de droite appuyé sur son fusil baïonnette au canon. Et aussi une jolie maman blonde (ou une grande soeur ? Ou une nounou ?) et surtout nue-tête, elle est bien la seule dans cette assemblée où toutes les femmes vont dûment chapeautées. Tous les 3, retrouvez-les dans la foule ! Les arcades à gauche sont celles de la rue de la Lyre, qui par un café fait l'angle avec la petite rue du Divan qui longe la cathédrale par la gauche (tronçon qui sera rebaptisé Monseigneur Leynaud).





C'est son nom de roi. Lorsqu'il naquit à Hué en 1870, il s'appellait Ung Lich.

Cette nuit-là, le régent Thuyet décida un dernier coup d'éclat : le massacre des officiers français au cours d'une grande fête donnée dans la légation. Non seulement l'attaque échoua, mais les Français, forts de leur 12.000 hommes et 1.100 canons, écrasèrent les troupes annamites et s'emparèrent de la Cité Interdite qu'ils pillèrent. La déchéance de la dynastie et l'annexion de l'Annam étaient dès lors à portée de main, mais Paris s'y refusa.

Le jour même du couronnement de Chan Mong-Dong Khanh, Ham Nghi - bien vivant malgré les rumeurs et toujours en fuite - lance une proclamation dénonçant une nouvelle fois l'envahisseur. Il y retrace la façon dont la France, depuis un quart de siècle, a agressé le pays, obtenu la cession des provinces et, insatiable, poursuit la conquête. Mais, assure-t-il, "le royaume d'Annam restera aux Annamites. Bien que les Français soient forts, ils ne parviendront pas à nous soumettre". Le roi adjure ses sujets de les combattre sans répit, en trouvant "de nouvelles ruses pour détruire et de meilleurs moyens pour combattre ces bandits". Il leur interdit d'avoir des rapports avec les Francais, de leur vendre des vivres, de leur fournir des renseignements. Ainsi, ajoute-t-il, "ils ne pourront pas gouverner". Ah, mais ! Non, le Prince d'Annam n'était ni un patriote d'opérette ni un héros en peau de toutou.


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Du temps de leurs fiançailles, le Prince et sa future saisis par un appareil photo indiscret lors d'une haletante course-poursuite avec la meute des paparazzi.


Certains algérois aujourd'hui se souviennent encore de la pagode, certainement la seule d'Alger, qui en ornait le parc. Cette pagode qui fit rêver les gamins de ce quartier, nous l'avons retrouvée, la voici...

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"Hormis les proches ou amis du Prince, seuls quelques garnements de notre acabit, dotés d'une bonne dose d'esprit "d'aventure", tentaient et réussissaient l'approche de ce que nous considérions comme un "temple" véritable, tout chargé de mystère comme le reste de la propriété du reste... Y parvenir en escaladant les bords de la falaise n'était pas chose aisée... Quant au "repli" lorsque le garde ou les chiens avaient découvert notre présence, il s'effectuait en catastrophe, en général par un plongeon dans un massif de ronces... La photo ci-dessus, bien que monochrome, permet de mieux comprendre l'attrait que cet édifice pouvait exercer sur nos jeunes esprits avides de découvertes et d'aventures..." César Six, décembre 2000. (document : Claude Bosc).



L'Annam, ou "centre du Vietnam" (le Trung Bô), désigne une région constituée de longs chapelets de petites plaines. La longue plaine littorale est adossée à la cordillère Annamitique et relie le delta du fleuve Rouge (Tonkin) au nord, à celui du Mékong (Cochinchine) au sud. L'Annam a pour villes principales Huê et Da Nang (anciennement Tourane). Le nom d'An Nam a longtemps désigné pour les étrangers, notamment les Chinois, le Vietnam dans son entier.
(carte : copyright : Pierre Gay, "Drapeaux de la Francophonie et de la France").




En prime : une caricature de la presse people du temps.