29 mai 1949
Alger, notre cité citée !
Un Président, deux orphelins, et une croix de guerre…
Chronique de Gérald Dupeyrot, dessins de Jean Brua
Ce dimanche 29 mai 1949 dans la matinée, le Président de la République Vincent Auriol débarque du croiseur Georges-Leygues pour entamer son voyage officiel en Algérie. Il commence sa visite par Alger. Dès ce matin, il dépose une gerbe au Monument aux morts. Puis il descend les escaliers des jardins Laferrière, traverse le square du Plateau des Glières. Il arrive au début du boulevard Carnot interdit comme le boulevard Baudin à la circulation, à deux pas de notre square Guynemer. Là, sur le front de troupes rendant les honneurs et de trois drapeaux qui s'inclinent, après que M. Ramadier, Ministre de l'Intérieur, ait lu la citation consacrant le rôle d'Alger dans la résistance, M. Vincent Auriol épingle la Croix de guerre avec palme sur un coussinet aux armes de la ville, que lui présentent deux orphelins de guerre, Martial Ernandez et Ahmed Kader. Es'mma reviendra par ailleurs sur leurs pères, "morts pour la France" pour lesquels leurs deux fils reçoivent ce matin l'expression de la reconnaissance nationale. La belle citation accompagnant l'attribution de cette distinction est rappelée au bas du présent écran, sous les armes d'Alger.
Ci-dessous, deux photos jusqu'ici inédites de cette remise de la Croix de Guerre. Elles font partie des souvenirs de la famille Ernandez, c'est le propre fils du petit Martial qui les a confiées à notre amie Françoise Pigeot. Le papa de Martial, "Mort pour la France", s'appelait Vincent Ernandez. Françoise ne désespère pas retrouver aussi qui était le père du petit Ahmed Kader. Sherlock Holmes sur Es'mma n'est pas qu'au masculin ! Sur la photo de droite, Vincent Auriol serre la main de M. Gazagne, maire d'Alger. Derrière eux, le cameraman des "Actualités Françaises", et le début du boulevard Baudin.
Puis, du balcon de l'ancienne mairie avenue de la République, avec son rocailleux accent du Sud-Ouest, le Président de la République prononce un discours devant une foule enthousiaste d'Algéroises et d'Algérois de toutes communautés.
M. Vincent Auriol va poursuivre aujourd'hui et demain sa visite d'Alger, où va continuer de le suivre le cameraman des "Actualités Françaises", pour une bande d'actualités que l'on peut voir ICI (cliquez). Nous en avons tiré les quelques images ci-dessous. Ensuite, le même film vous entraînera à la suite du Président à Bône, Constantine, Oran, Tlemcen, et à nouveau Oran, où le croiseur Georges-Leygues l'attendra pour le retour en France.
Cliquez sur les images ci-dessous pour les agrandir.
De jolis portraits, un soleil de printemps qui tape fort, et des chapeaux de gendarme pour s'en protéger, faits avec le journal qui souhaite la bienvenue au Président, le Président et le Gouverneur Général, tous deux anciens résistants, contemplant la baie d'Alger depuis la terrasse du Palais d'Été, la vitrine d'un fourreur, des professeurs de la Fac sur lesquels remettre un nom s'il en est encore temps …
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Par simple acquit de conscience, Es'mma est allé jeter un oeil dans le Livre d'Or de la Brasserie de l'Étoile, dont Guy Simon Laborde avait bien voulu nous faire une précieuse copie. Des fois que… Comme Vincent Auriol était une fine gueule doublée d'un solide coup de fourchette, et que durant la guerre, ayant rejoint la France Libre, il avait séjourné à Alger (en 1943 et 1944), il connaissait forcément la fameuse brasserie de la rue d'Isly. Aurait-il eu la tentation d'y retourner, nous sommes-nous demandé ? Et là, dans le Livre d'Or, bingo ! On tombe sur une dédicace du Président : "En souvenir d'inoubliables journées, Vincent Auriol, 29-30 mai 1949". Donc il est bien passé par là ! Mais a t-il déjeuné, ou dîné à la Brasserie de l'Étoile, ou ne s'y est-il posé que le temps d'un apéritif avec l'un ou l'autre des "corps constitués" de notre ville ? (1)
JiBé penche pour l'hypothèse d'un Vincent Auriol qui n'aurait pu se retenir de venir ici faire un bon gueuleton, et d'un M. Baroli, Maître des lieux, qui, très courtoisement, lui aurait fait l'hommage d'une adaptation locale du cassoulet de son Lauragais natal…
La Loubia présidentielle
(1) Va sa'oir ! La collection des Échos d'Alger sur Gallica s'arrête à fin 1948, et je n'ai plus la ressource d'aller feuilleter la suite pour l'année 1949 à la Bibliothèque Nationale ou au CDHA. Histoire de savoir le détail de ce que le Président a fait de ces deux jours passés en notre ville. Autre hypothèse : que M. Baroli, comme ce fut souvent le cas, ait été chargé d'organiser un banquet au Palais d'Été en l'honneur de l'hôte présidentiel, et qu'il ait pris avec lui le Livre d'Or de la Brasserie pour le faire signer à son illustre convive. Si possib'…
Citation lue par M. Ramadier, Ministre de l'Intérieur,
en présence de M. Vincent Auriol, Président de la République,
de M. Gazagne, maire d'Alger,
et de Martial Ernandez et Ahmed Kader, orphelins de guerre,
le 29 mai 1949 au plateau des Glières d'Alger.
"Par le lourd tribut qu'elle a payé à la libération du territoire, la ville d'Alger a acquis des droits puissants à la reconnaissance de la Nation. Après avoir abrité les partisans clandestins du débarquement du 8 novembre 1942, est restée jusqu'en 1944 le siège du gouvernement provisoire de la République en même temps que le centre du Commandement interallié. Soumise à de nombreuses alertes et à 22 bombardements, la population algéroise, malgré ses 378 morts, ses 658 blessés et ses centaines de destructions totales ou partielles, a toujours su conserver le plus grand calme dans une admirable dignité. Cité qui s'enorgueillit à juste titre de l'appellation glorieuse de "Capitale de la France en guerre", que lui ont valu son rôle, sa conduite et l'attitude de sa population".
Les armes d'Alger comportèrent alors la croix de guerre avec palme, ainsi que le "rayonnement de feuilles de phoenix d'argent retenues en pointe par un lien d'azur aux retroussés d'or". Le jargon héraldique, c'est toujours trop chou. Tout ça pour dire "un lit de branches de palmier avec dans le bas un p'tit ruban bleu d'un côté et doré de l'autre" ! Le phoenix, c'est un petit palmier dattier, dit "palmier des Canaries", comme ceux qui je crois se trouvaient boulevard Saint-Saëns du temps qu'ils étaient petits et que moi aussi.
En août 2004, sur le pont d'envol du porte-avions Charles-de-Gaulle, en présence du président algérien Bouteflika, le Président Chirac remettra à la Ville d'Alger une autre médaille, la Légion d'Honneur, à peu près pour les mêmes raisons que celles déjà données ci-dessus en 1949, cinquante-cinq ans plus tôt ! Je m'abstiendrai de faire état de mon sentiment sur ce "remake" de 2004, mais je n'en pense pas moins…
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