Salério
Un excellent maître
dont la sévérité trop démonstrative n'obérait
ni la qualité ni la personnalité attachante
par Jean-louis
Jacquemin

Lambert Salério,
tel que son visage reste gravé en chacun d’entre nous
(ce
n’est pas tout à fait neutre que sa célèbre « dextre » apparaisse sur le
cliché !)
Ne croyez surtout pas que je
m’acquitte d’un devoir de commande. Je m’acquitte
d’un souhait personnel de mise au point, prévue antérieurement à la lettre de
Michèle.
Salério était doté d’une
personnalité qui mérite d’être soulignée sans s’arrêter à une sévérité « de
principe » qui en faisait certes un peu trop.
Il ne manquait pas, à côté de
cela, d’une présence en classe assez fascinante et d’une sorte de charme
entraînant l’adhésion car il savait capter l’intérêt, tenir en haleine et, comme
le disait Jean-claude, « au moins avec lui on avait l’impression d’apprendre
quelque chose ! ».
Salério m’a marqué d’une manière
forte (sans jeu de mot) et je ne suis pas le seul. Parmi mes camarades
retrouvés, pas un seul qui ne garde un « vrai » souvenir de sa classe et ne lui
soit reconnaissant.
C’est l’affection et la gratitude
qui m’ont immédiatement rempli en retrouvant son regard aigu, perceptif,
piaffant de vivacité et la puissance tranquille de sa silhouette d’homme du
« Sud » contrôlé mais sûr de lui.
J’ai été heureux d’aborder
l’homme de manière plus personnelle a travers ce que Michèle m’en a raconté…
sans pouvoir cacher, cependant, que ce père tendre était tout de même, y compris
pour sa fille, d’une vigilance très méditerranéenne !
Oui, Salério était un bon maître
et il aimait son métier. Et certainement ses élèves. C’était un pédagogue
intelligent et efficace. Il croyait en ce qu’il transmettait et il était plein
d’esprit, voire drôle (je l’ai déjà dit) quand tout allait bien et que « ça
suivait ». Ses argumentaires et ses leçons, en route vers le redoutable concours
d’entrée en 6e étaient intéressants, clairs et didactiques.
Mais il avait la religion de la
discipline et postulait que ces derniers ne s’obtiennent d’une bande hétéroclite
de jeunes « méditerranéens », cossards, dissipés et remuants comme la nôtre, que
par une « trouille » salutaire du maître et de sa « règle ». Pour cuisant qu’il
soit, parfois, il mettait à ce rituel, plus de cabotinage que de méchante
intention.
Cette courte règle, la légendaire
« Joséphine », serrée entre son pouce et son index replié brandis bien haut
pour appuyer ses phrases-clés, partait comme la foudre avec la précision d’un
missile pour rappeler à l’ordre la caboche qui s’était détournée pour un instant
de rêverie vers le ciel bleu ou la main discrète qui abritait, bien inutilement,
un chuchotis mal venu. Châtiment véniel : cela n’interrompait même pas la leçon,
et les non-destinataires jubilaient, d’autant qu’il fallait à l’heureux élu
aller la restituer presto en mains propres : le malheur des autres fait
toujours recette... Le jour où mon tour vint, j’eus de la chance (il me le fit
remarquer quand je la rapportais…), il ne tenait qu’une gomme !
Salério avait certes la main
leste en cas de dissipation ou de faute jugée grave, mais derrière ce dressage,
l’homme restait proche de ses élèves.
Punitif par système, comme sévère
par principe, c’était à côté de cela un « Juste » qui n’eût jamais ni
souffre-douleur ni chouchou et n’avait pas deux sous de rancune. La classe ne
vivait d’ailleurs pas dans la terreur : les bons moments dominaient ! Pour
redoutées qu’elles furent (surtout des mauvais élèves) ces « calbotes » encore
plus souvent promises et annoncées que données ne révoltaient d’ailleurs
personne. Comme je l’ai déjà écrit, même entre nous, la castagne était, à cette
époque, un baromètre hiérarchique d’utilité reconnue.
Salério a fait passer, à
Daguerre, nombre de promotions de CM2 en 6e avec des scores plus que
flatteurs et ses résultats étaient effectivement connus dans Alger. Il faudrait
faire un jour un Who’s who des anciens de Daguerre. On serait étonné.
Pour cette modeste classe de CM2 qui fût la mienne, le score est, 60 ans après
cette classe et 45 ans après l’exode, impressionnant. J’aimerais en rassembler
tous les anciens. J’ai bien commencé.
Quand je vois le désastre
pagailleux de ces classes d’aujourd’hui où l’on accède au collège sans savoir
lire et écrire correctement ni réellement compter (et à l’Université sans savoir
rédiger et encore moins faire une synthèse) et où on peut traiter grossièrement
son prof et le faire traduire en justice par papa pour vous avoir balancé la
gifle que cela mérite (à notre époque le même père lui aurait mis « la rince »
avec les intérêts avantageusement rendus par le mur !) je me dis que l’absence
totale de discipline, n’a pas réellement fait ses preuves.
Cher Lambert Salério, que j’eusse
aimé retrouver votre adresse plus tôt ! J’aurais eu tant de plaisir à venir vous
voir à Alicante pour vous dire : voilà, Monsieur, j’ai tenu la distance! Et je
sais d’instinct à quelles chaleureuses et festives retrouvailles ce voyage eût
donné lieu, comme le plaisir qu’elles vous auraient, et à moi même, entre
hommes, procuré.
Mais grâce à Michèle, le lien
n’est pas perdu.
Merci, Lambert Salério, vous avez contribué à forger ce que je
suis et beaucoup de vos anciens élèves vont avoir autant de plaisir que moi à
vous retrouver dans ces photos providentielles comme dans les lignes que nous
devons à Michèle.
Jean-Louis
JACQUEMIN
Poitiers,
25 Janvier 2008
|