Alger_3_baudets


Cliquez pour agrandir

Document : collection Richard Dahan


Alger-Montmartre

Retour sur trois chansonniers "bons garçons"

Texte et dessin de Jean BRUA

   À grands cris, la presse parisienne et les sites du spectacle saluaient l'année dernière la renaissance du mythique cabaret des "Trois Baudets" .

   À grands cris d'ignorance, pourrait-on remarquer. Car si, à juste titre, on a rappelé que la petite salle de Pigalle était liée aux plus grands noms de la chanson et des variétés françaises (G. Brassens, J.Brel, J.Greco, G. Béart, F. Raynaud, R. Devos, Frères Jacques, 4 Barbus...), il est généralement oublié - au mieux, négligemment évoqué - que le terroir de l'appellation fut la rue Mogador à Alger, et les baudets de chair et d'os, trois chansonniers jusqu'alors inconnus : Pierre-Jean Vaillard, Christian Vebel et Georges Bernardet.

   Si vous avez passé la soixantaine (au minimum), vous avez peut-être encore dans la tête le générique musical de Radio-Alger qui ouvrait chaque soir leur émission :

Ah ! les chansonniers d'Montmartre,
Quels blagueurs, quels bons garçons !
En Alger tout comme à Chartres
On aime leurs chansons !

   Et vous n'aurez pas davantage oublié la modeste salle tapissée de rouge où, plusieurs fois par semaine, pendant la guerre (1943-45) et même un peu après, les trois compères ont distrait des soucis de l'heure Algérois, réfugiés de Métropole, militaires français et alliés .

   J'en conserve pour ma part un souvenir très précis et un peu mortifiant dont j'ai fait état dans un message sur le Livre d'or (22/02/07). Je le reprends ici en profitant de la conjoncture des fêtes de fin d'année, avec l'appoint d'un dessin que je crois assez fidèle à la situation.

   Souvenir des 3 Baudets. Soirée de Noël 46. Après un repas familial chez ma tante, rue Lacanaud, ma mère s'aperçoit que les clés de l'appartement (rue d'Estonie, deux pâtés de maisons plus haut) ont été emportées par ma sÏur, partie aux 3 Baudets avec son fiancé. Pas de voiture dans la famille. Nous voilà donc à tricoter des pinces, mon père et moi, vers la rue Mogador, via le Forum et la rue Dupuch. Au théâtre, mon père obtient l'autorisation que j'entre dans la salle entre deux tableaux. il ne veut pas y aller lui-même, car il craint de se faire chambrer par les chansonniers, qui le connaissent bien. Je marche donc courageusement au sacrifice, et ça ne rate pas : au moment où j'arrive à la hauteur des premiers rangs, où se trouve ma soeur, retour en scène inopiné de P.-J. Vailllard. il comprend l'objet de mon intrusion en voyant passer les clefs de mains en mains. "Ah ! Ah ! C'est pas bien d'avoir laissé le petit frère à la rue, un soir de Noël ! Faites-lui donc une place, je l'invite !". Panique, humiliation, fuite éperdue dans la travée sous les rires du public. Dans le hall, je fonds en larmes. Mon père est tout penaud. Pour moi, les 3 Baudets, c'est fini. Je n'y mettrai jamais plus les pieds...

   J'ai eu bien tort. Mais je ne pouvais pas savoir que nos trois amuseurs, célèbres dans tout le Maghreb , et leur mentor Jacques Canetti allaient quitter la rue Mogador pour Paris dès l'année suivante pour ouvrir un nouveau cycle, encore plus glorieux. D'abord avec leurs confrères chansonniers puis, de plus en plus, avec les voix, les textes et les mélodies de l'âge d'or de la chanson française, personnifié par les interprètes et auteurs cités plus haut.

   Cela vaut bien, pour finir, qu'en hommage à nos gentils Baudets des années de guerre, on chante avec eux leur prémonitoire générique de fin de spectacle :

C'est fini, c'est fini
Pour ce soir,
Nous arrêtons nos gammes
Mais nous reviendrons
Avec des chansons
À Paris Pana-a-me !

Après 40 ans de silence, le plus fameux cabaret de Paris a rouvert ses portes le 6 février 2009, boulevard de Clichy.

Christian Vebel était le seul Pied-noir "d'origine" du trio. Né à El Kseur (Constantine) en 1911, il est mort à Paris en 2002.

Située au 4 de la rue Mogador, cette salle, propriété de la paroisse de Saint-Augustin, sera utilisée plus tard par le CRAD de Geneviève Baïlac et l'excellente troupe d'éducation populaire d'Henri Cordreaux.

Parallèlement à leur activité "sédentaire" de la rue Mogador, à leur émission sur Radio-Alger et à leur collaboration à l'hebdo satirique "Le Canard Sauvage", ils ont effectué de nombreuses tournées sur tout le territoire algérien, mais également au Maroc et en Tunisie. Pendant les années de guerre, une partie des recettes était reversée au mouvement de résistance "Combat", alors sous la houlette du professeur de droit René Capitant.

Le 15 décembre 1947.