LETTRES D'ALGER : "M" COMME MOULIN (7)





Par le G.D.L.L.D.B.

Dessin de Jean Brua



SILENCE, ON TOURNE !

LES DEUX MOULINS



    Les Deux Moulins, c'était pour nous autres du centre, une des étapes de cette côte à l'ouest d'Alger, parsemée de petites stations balnéaires charmantes, dont l'une ou l'autre serait notre destination du week-end. Celle-ci dépendait de la commune de Saint-Eugène. On pouvait y aller avec la ligne 8, mais antantian, seulement la "8 barré", "il ne fallait pas se tromper, car seule la "8 barré" était autorisée à s'arrêter aux Deux-Moulins, l'autre pas." (Gérard Stagliano)

   Pour les Deux-Moulins, pas besoin de se casser la tête, l'histoire de sa genèse nous est servie sur un plateau par le site internet de la famille de Vialar. Rien qu'on a à lire...



Les deux moulins de l'ingénieur Patricot.

   Alfred de Vialar (rejeton d'une riche famille installée en Algérie) a épousé Berthe Alexandrine Patricot le 11 décembre 1873 à Mustapha. Elle est la fille d'un ingénieur des Ponts et Chaussées.

   À la demande de Bugeaud, ce Patricot a tracé la route carrossable qui longe la mer à l'ouest d'Alger et se dirige vers l'Oranie.

   Au cours d'une de ses inspections à cheval, l'ingénieur, après avoir traversé la Vallée des Consuls (nous sommes seulement en 1835) parvient sur un plateau broussailleux qui surplombe la mer. Deux petits moulins à vent s'étirent sur la rocaille. Ils appartiennent à un chevrier arabe et servent à moudre le grain de tous les fellahs des environs.

   L'endroit plaît immédiatement à Patricot qui l'achète et devient propriétaire de toute cette partie du littoral algérois.

   On va quelquefois chasser ou pêcher aux environs de ces deux moulins. M. Henry Beauvais écrit à ce sujet : "Ce rocher des Deux-Moulins était un vivier surpeuplé où le moins initié des pêcheurs faisait figure d'un Saint Paul sur la mer Morte". (1)

   Ce véritable paradis demeurera longtemps désert. Il appartiendra aux Vialar de le sortir du néant.



Berthe Patricot

   La baronne Alfred de Vialar, que l'on disait "intelligente, dynamique, amie des arts et des lettres", présidait la haute société algéroise dès les premières années de la IIIe République. Pour mériter une invitation dans ses salons - c'est alors une véritable consécration que se dispute chaque algérois bien né - on irait jusqu'à entreprendre les douze travaux d'Hercule.

   Les Vialar reçoivent indifféremment dans leurs domaines de Mustapha supérieur, de Baraki, ou de Tixeraïne.

   De brillants attelages y conduisent leurs hôtes au cours de sorties qui demeurent encore de véritables aventures. La mode n'est pas alors aux deux petits moulins. Jusqu'au jour où M. Louis Tirman, gouverneur général depuis 1881, et habitué des réceptions de la baronne, évoque ce coin de littoral où les pique-niques, pense-t-il, seraient plus divertissants. M. Tirman a ses raisons : il aime la pêche à la ligne à en mourir et se voit peut-être déjà en train de jouer les Saint Paul (1) en question.



M. Tirman et sa canne à pêche

   Aussitôt dit, aussitôt fait...

   Les habitués des soirées étincelantes des Vialar reportent, dès lors, toute leur attention mondaine vers les moulins de l'ingénieur Patricot, que l'on avait oubliés depuis bien longtemps. Les conducteurs de phaétons ont mené leurs coursiers vers ce plateau du bord de mer. Là, on s'exclame, on s'esbaudit, ont s'emballe évidemment. On loue enfin le génie qui a eu cette idée, et qui déjà a préparé son attirail de pêcheur.

   Les messieurs en redingote qui, au cours de ces sorties, aiment à jouer "les gros bras", vont jusqu'à retrousser leurs manches pour étendre une toile de tente entre les moulins et protéger leurs compagnes froufroutantes, des rayons d'un soleil implacable.

   On installe, à même le sol, des nappes brodées ; on déballe de grands paniers d'osier ; on en sort des morceaux de victuailles. En un mot : on pique-nique...

   M. Tirman lui, ne quitte plus les rochers et semble faire corps avec sa canne à pêche qui est devenue le prolongement naturel de ses deux bras. Chaque fois qu'il en a envie, il dit : "Allons voir nos deux moulins !".



DESSIN DE JEAN BRUA


De ces deux moulins aux "Deux-Moulins" il n'y a qu'un pas.

   Le baron y fait aménager une petite maison qui recevra tout ce beau monde en été. Chacun, parmi la bonne société d'alors, de l'imiter en faisant construire son petit cottage, son "cabanon".

   Les "Deux-Moulins" se hérissent de constructions de toutes sortes et se voient de plus en plus fréquentés durant l'été. Bientôt, le petit tortillard qui emprunte le littoral ouest y fera une halte. Les Deux-Moulins sont définitivement consacrés.


FIN DE L'HISTOIRE DE LA NAISSANCE DES DEUX-MOULINS
RACONTÉE PAR LE SITE DE LA FAMILLE DE VIALAR



Sauveur Galliero : "Baigneurs aux Deux-Moulins".

  Voilà pour l'historique de l'appellation. Pour en savoir davantage sur les Deux-Moulins de nos enfances, je vous convie à vous rendre sur les jolis écrans que Gérard Stagliano, Deux-Moulinois grand teint, leur a consacré.

http://www.mitidjaweb.com/nostalgie_a_fleur_d'ame.html


   "Les Deux-Moulins, on ne les a vus qu'une fois, un jour de fête des Deux-Moulins, présidée en jaquette et chapeau melon, par le Baron de Vialar, une figure emblématique du lieu et un noble pour présider... une "République Libre des Deux Moulins" ! On les avait construits en contre-plaqué sans doute, sur les cultures en banquettes au-dessus du mur d'enceinte en pierres des Nocchi, avec la publicité en lettres géantes des cigarettes Melia ou Job..."
(Gérard Stagliano)





Les Deux-Moulins.


(1) Citation curieuse, où son auteur, Henry Beauvais, semble quelque peu se mélanger les Saints. L'épisode de la pêche miraculeuse nous est conté dans Luc (5, 4-11), et c'est Simon Pierre, pêcheur par excellence, qui va en profiter. Saint Paul, qui était soit scribe soit fabricant de tentes (selon les Actes des apôtres, c'est-à-dire qu'il était probablement tisserand ou sellier), aurait été incapable de ramener quoi que ce soit, même plongé avec lunettes, palmes et fusil harpon, au coeur d'un banc singulièrement poissonneux aux deux Moulins. C'est rien qu'une hypothèse...