En un seul conseil municipal de décembre 1913 :

10 NOMS DE RUES DE PLUS !
ET DIX "BIENFAITEURS" À POILS !

Dessin de Jean Brua

   Bonjour. C'est dans la belle revue "Mauritania" que j'ai trouvé l'article qui suit. Comme je vous sais féru de tout ce qui touche au passé de notre ville, et curieux de tout ce qui a pu la fonder et la modeler pour l'amener au point où nous l'avons connue, j'ai immédiatement vu l'intérêt de le faire figurer sur notre site ! Oui, voici dix "bienfaiteurs" que voulut saluer notre conseil municipal, dix plaques de rues qui apparurent vers la Noël 1913, et dix personnalités dont, de notre temps, nous ne savions déjà plus qui elles étaient ! Et dont on ne sait aujourd'hui quasiment plus rien ! Toutes ces plaques portant leurs noms, après notre départ, furent remplacées par d'autres, avec dessus des noms de victimes de la guerre d'indépendance sur lesquelles l'Algérois moyen de maintenant n'en sait pas tellement plus que nous-mêmes n'en savions sur nos propres "personnalités" ainsi plaquées. Dur, dur, d'être un homme célèbre pas célèbre !

    Mais grâce à Es'mma, voici ramenés à la fraîcheur de nos souvenirs ces dix braves hommes honorés du titre de "bienfaiteurs" (1). "Mauritania" consacre à chacun d'eux une courte biographie. On constatera que la documentation de la revue était assez scandaleusement inégale selon les bonshommes. Si l'articulet consacré à Félix Casabianca est fort long, celui pour Alfred Letellier est, lui, risiblement riquiqui ! On retiendra surtout de lui qu' "il laissa le souvenir d'un homme dont le désintéressement n'avait d'égal que la probité". Encore heureux ! Manquait plus que ç'aurait été le contraire ! (2) Par contre, on oublie de rappeler que Pierre Castan (auquel succéda son neveu, Louis Castan, puis en avril 1925 Jean Galéa) fut l'industriel qui dans son usine du Frais Vallon fabriqua d'énormes quantités de carrelages de céramique superbes, souvent dans le style oriental, façon "Parc de Galland", qui vinrent habiller les sols et les murs de nos halls d'immeubles et les terrasses et balcons de nos villas. Il contribua ainsi à former une partie nos goûts d'enfants, et nous marqua pour le restant de nos jours ! Grand merci, donc, à Pierre Castan ! Mais bon, en plus de leurs biographies, expédiées ou non par dessus la jambe, on aura aussi du coup exhumé leurs bobines, et ce n'est pas rien de rendre à un humain à la fois son nom, son passé, et son visage !

   À la lecture de ce qui suit, on apprendra qu'Isidore Tachet avait été décoré du "Nichan-Ifthicar" (belle décoration tunisienne quoique d'un faste un peu "m'as-tu vu"), mais pas grand-chose de ce qu'était son métier, sinon qu'il était "propriétaire et négociant", on s'apercevra que nombre de ces Algérois éminents étaient des "patos" (eh oui, il fallait bien commencer un jour d'être pied-noir !), que l'architecte de la Grande Poste était aussi pompier bénévole, que le créateur du square Bresson était quelqu'un de Douai, qu'Henri de Grammont fut un vaillant Zouave (3), que Félix Casabianca fut à l'origine, dans notre ville, des Oeuvres de bienfaisance de la Bouchée de pain et du Refuge de Nuit, et qu'à la 21ième ligne se trouve une coquille qui a échappé à l'oeil vigilant d'un correcteur dont nous ne saurons jamais ni le nom ni rien du tout, bien qu'il ait été - n'en doutons pas - un modèle de conscience professionnelle (à part cette bien vénielle faute d'inattention). Si la flemme qui me submerge consentait à se lever, je disposerais, à la suite de cet article, des petits plans pour situer chacune des artères qui se vit attribuer l'un des noms ci-dessous. En attendant, sur votre plan d'"Alger-Guide", vous irez rechercher, je n'en doute pas, où se trouvaient ces quelques rues dont, pour certaines, je dois avouer que je n'en avais jamais entendu parler du temps que j'habitais notre ville… Bonnes découvertes !

GÉRALD DUPEYROT         

(1) Oui, il est évident que les bienfaitrices, elles, étaient rares. Il faut dire que l'élevage des enfants, eux-mêmes - surtout les garçons - futurs bienfaiteurs potentiels ou petits soldats héroïques de guerres à venir, était encore en ce temps considéré pour les femmes comme un mérite suffisamment dans leurs cordes, pour qu'en plus elles ne se mêlent pas d'exercer des fonctions de "bienfaitrices" !

(2) Pourtant, sa biographie, même si je la simplifie, reste encore considérable, qu'on en juge : Alfred-Ferdinand Sévère Letellier est né à Alger le 16 mars 1842. D'origine modeste, il a été avocat, puis député d'Alger. Si sa biographie est si chichement abrégée dans "Mauritania", peut-être ses engagements politiques résolument républicains et progressistes n'y sont-ils pas pour rien. Le Lycée d'Alger (futur Bugeaud) où il fit ses études secondaires était vers 1855 une importante et frondeuse concentration de professeurs bannis de France par le régime de Napoléon III. C'est ainsi qu'Alger était alors devenu le principal foyer d'opposition républicaine. Letellier écrivit alors dans les journaux "démocratiques" d'Alger : l'Algérie Française, le Courrier de l'Algérie, le Journal des Colons, ou encore le Bulletin Judiciaire de l'Algérie dont il fut l'un des fondateurs. Après avoir été élu au Conseil Général, il devint député en août 1881, alla siéger sur les bancs de la Gauche radicale, fut réélu en octobre 1885. Au parlement, membre très actif de nombreuses commissions, il ne se cantonna pas aux questions spéciales à l'Algérie, mais prit une part souvent prépondérante à de très nombreuses grandes discussions du moment. Les Algérois conservaient de lui le souvenir des discours qu'il prononça lors de distributions de prix au Grand Lycée d'Alger. Ou lors de l'inauguration de la statue du sergent Blandan à Boufarik.

(3) Henri de Grammont, le temps qu'il a été Zouave, fut-il coiffé par Dache, le perruquier des Zouaves, ainsi qu'en fait l'hypothèse Jean Brua ci-dessus ? Dache, tout personnage presque réel et quasi historique qu'il fut, n'eut jamais, lui, sa plaque de rue à Alger ! Quelle injustice ! Né en 1840, Dache avait à peine 55 ans en 1895, quand l'auteur de sa biographie lui rendit visite dans sa petite maison où, avec sa soeur Nadège, et Jacqueline, sa jambe en bois, il s'était retiré sur les hauteurs d'Alger, dans les coteaux qui dominent la Casbah, "au milieu des tamaris et des figuiers". Une fois à la retraite, Dache a fort bien pu, effectivement, couper les cheveux et faire barbes, moustaches et rouflaquettes à tous ces "bienfaiteurs", histoire d'arrondir sa maigre retraite d'ancien Zouave. À quelques années près, si l'on en juge par les dates de naissance données ci-dessous, tous étaient contemporains de Dache. Se faire passer le blaireau et le coupe-choux par Dache, tout en l'écoutant narrer ses aventures, et en laissant planer son regard sur la baie d'Alger au loin, depuis les hauteurs de Climat de France, a pu en séduire plus d'un ! Ou bien Dache, avec sa trousse de peignes et de rasoirs, se rendait-il chez les uns et les autres, qui le recevaient entre deux de leurs importants rendez-vous ?



Voici déjà les cinq premiers heureux lauréats destinés à être plaqués…
Documents, reproduction et retouches par G. Dupeyrot. Pas de reproduction sans autorisation.





… et voici les cinq autres !



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